Cornelis Springer - Vue de la Haye - 1850

Il a copié, le vilain !

La Hollande, sa lande, ses moulins, ses bras de mer, son ciel sombre et bas : van Ruisdael nous en offre une carte postale unique avec son tableau Le Moulin de Wijk près de Durstede. Mais un peu plus loin sur les cimaises du Rijksmuseum à Amsterdam, un autre peintre semble l’avoir copié quelque deux siècles plus tard. Pas bien, ça ! Allons voir ce qu’il en est.

Ruisdal - Le Moulin à vent à Duurstede - 1670

Comprendre la copie en peinture

En me promenant le long des cimaises du Rijksmuseum, je tombe tout d’abord sur l’œuvre de van Ruisdael Le Moulin de Wijk près de Durstede. Je m’y arrête, intriguée. Il y a bien sûr tous les éléments caractéristiques de la peinture de cette époque : un paysage fait d’une longue bande de terre sans beaucoup de reliefs, une étendue d’eau jouant avec la lumière, un ciel nuageux, dont le plafond nous semble bien bas. Mais ce qui retient mon attention, c’est ce moulin, pourtant caractéristique, mais gigantesque ici, ressemblant étrangement à un phare, défiant le gros temps qui s’annonce. Peu familière de ces bâtiments, je soupçonne néanmoins le peintre d’avoir triché avec les proportions. Je débute alors mon enquête sur le contexte de ce tableau en ne m’aidant que des informations disponibles sur le site du Rijksmuseum et de Wikipédia.

Qui peut bien être ce van Ruisdael?

Un nom à particule : bourgeois ou aristocratique ? Son patronyme, Ruisdael est lié à un château, désormais détruit, situé dans le village de Blaricum, appartenant au grand-père de Jacob, le fabricant de meubles Jacob de Goyer. Bien que les possessions immobilières prédestinassent vraisemblablement le peintre à une haute lignée, la catégorie socio-professionnelle de son ancêtre, de son père et de ses frères l’a certainement incité à faire commerce de son art.

Qui peut bien acheter ce genre d’œuvres et pourquoi?

Eh bien, nous sommes au Siècle d’or hollandais. La période est faste pour les peintres « qui savent y faire », c’est-à-dire qui ont pignon sur rue et vendent des œuvres de belle facture aux nouveaux bourgeois des villes des Provinces-Unies dont Amsterdam est le fleuron. Le pays est alors à la tête d’un puissant empire colonial, Rotterdam et Amsterdam en sont les entrepôts. Les marchandises venues de ces colonies affluent, et l’argent avec elles. En me renseignant sur différents sites, j’apprends que Jacob van Ruisdael est généralement considéré comme le paysagiste le plus réputé de cette période. Jouissant d’une bonne réputation et actif en ces temps de grande opulence, le peintre possède donc vraisemblablement une boutique. Cette œuvre a ainsi pu être réalisée à usage décoratif de quelque riche bourgeois d’Amsterdam. N’oublions pas qu’à cette époque, les paysages sont aussi populaires que les peintures d’histoire aux Provinces-Unies ; les clients en sont friands comme faire-valoir dans leurs appartements.

J’aurais pu poursuivre mon analyse, mais une lassitude soudaine m’incita à me diriger vers un siège et c’est en cherchant un lieu de repos que je suis tombée sur un autre moulin…

… celui de Cornelis Springer.

Cornelis Springer - Vue de la Haye - 1850

Cette seconde œuvre m’intrigua par sa similarité avec celle de van Ruisdael. Et pour comparer les deux, il me fallut faire de nombreux aller-retour dans le musée. Non seulement, je vais vous épargner cette fatigue physique, mais je vais également vous accompagner dans l’analyse des éléments picturaux de chacune des œuvres afin de découvrir les analogies et les différences. Suivez-moi.

COMPRENDRE LE CONTEXTE DE L’ŒUVRE

Qui est Cornelis Springer?

Comme van Ruisdael, Springer est néerlandais, mais ce dernier vécut à une époque beaucoup plus récente puisqu’il est né en 1817 à Amsterdam et décédé en 1891 à Hilversum. Le premier des deux peintres s’inscrit donc dans cette période qu’on appelle communément le Siècle d’or de la peinture hollandaise ou le Baroque des Pays du Nord tandis que le second est considéré comme un artiste de la fin du Romantisme allemand. Si le sujet est très proche, nous devrions donc observer de nettes différences dans plusieurs éléments picturaux en raison de leur écart historique.

ANALYSER LES CODES PICTURAUX

Comparons…

… mais c’est par les similarités que nous commencerons. Une composition en diagonale, un chemin qui borde l’étendue d’eau et nous conduit au loin vers une agglomération, un bateau toutes voiles dehors vogue, la vue est quasi identique. Les deux peintres ont également placé le regardeur au même endroit ; sur une bande de terre, hors du sentier et au bord du canal, légèrement surélevé pour apprécier pleinement l’immensité du paysage. On voit également un groupe de trois personnages. Toutes ces ressemblances laissent penser que Springer s’est largement inspiré de la composition de son aîné. Le sujet est traité avec le même réalisme dans les deux œuvres. On s’y croirait ! Cependant, regardez comme van Ruisdael exagère et réarrange certains détails pour accentuer l’atmosphère et, par répercussion, l’émotion contenue dans son œuvre. Le moulin tout d’abord, démesuré, apporte cette impression colossale qui m’a frappée dès la première lecture de l’œuvre. Il est tourné vers la lumière et le ciel plein de nuages lourds nous donne l’impression qu’il se rapprocher vivement. Au contraire, chez Springer, les proportions sont bien plus sages, laissant une impression de même nature au regardeur. L’atmosphère est bien différente également. Les nuages sont bien plus sombres, la lumière plus vive et la surface de l’eau plus chahutée chez Ruisdael que chez son cadet de deux siècles. Le vent souffle alors que tout est calme, serein et paisible chez Springer. D’ailleurs en y regardant bien, les personnages prennent le temps de discuter alors que ceux de Jacob se pressent de rentrer, probablement pour éviter l’orage qui se prépare.

 

Et puis, il y a des différences notoires dans l’utilisation des couleurs. Celles de van Ruisdael sont froides, crues, pourtant nous sommes à la belle saison puisque les arbres ont leurs feuilles et les robes des femmes sont légères. Un bleu ardoise pour rendre un ciel tempétueux, des verts proches de l’émeraude pour les eaux peu profondes de la rivière, un blanc nacré pour les robes et pour le reflet de la lumière sur l’eau ; les couleurs disent le mauvais temps qui arrive et engendrent une tension, voire un effet légèrement dramatique. Rien de tout cela chez son jeune confrère. Il fait beau chez Springer. Les flots rendus dans des tons de rose, de bleu et de gris nacrés ne sont pas agités. Le vert tendre de la végétation nous montre un printemps clément. Le ton clair de la brique est agréable à l’œil, on pourrait y déceler un léger accent du Sud.

 

Et pour terminer, la touche est bien différente. Zoomez sur chacune des images et vous verrez la différence, elle s’explique par les deux cents ans d’écart entre les artistes. Chez le plus ancien, la manière est délicate, faite de petits traits de pinceaux posés finement sur la toile et par la superposition de couches fines et transparentes. Cette technique du glacis apporte une profondeur et une luminosité importante au tableau. Springer peint en revanche avec des pinceaux plus larges et apporte une pâte plus épaisse conférant au tableau un aspect plus rustique, mais aussi plus dynamique. Au cours du XIXe siècle, cette manière deviendra de plus en plus « grossière », les traces de pinceau de plus en plus visibles et la touche de plus en plus rapide et spontanée ; ce qui nous conduira à la manière impressionniste.

 

Alors, Springer a-t-il copié Ruisdael ? Sûrement pas. Certes, il a travaillé le même sujet, dans une composition identique, mais son propos est bien différent. Ruisdael peut être considéré comme un précurseur du Romantisme alors qu’il peint à l’époque baroque avec une propension à la dramatisation du paysage tandis que Springer nous laisse présager le Réalisme de Courbet et quelque temps plus tard l’Impressionnisme d’un Sisley par exemple. La preuve nous est donnée que le sujet… n’est pas le sujet ! C’est le propos qui compte et la manière de le rendre avec les codes propres à chaque artiste. 

À maintenant à vous d'analyser... avant de juger !

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