Félix Vallotton - Mon portrait - 1885

Psychanalysons nos peintres....

Tentons un exercice de psychanalyse. N’étant pas une spécialiste de la discipline, je vous propose d’utiliser comme support l’ouvrage du psychiatre Jean-Daniel Nasio intitulé Art et psychanalyse.

Pour commencer, l’auteur légitime notre démarche par ces mots : Si nous voulons vraiment sentir la force d’une œuvre, de comprendre pourquoi nous éprouvons des émotions inédites, il faut essayer de ressentir ce qu’a ressenti l’artiste en exécutant sa toile et si possible nous glisser dans son inconscient afin de revivre d’anciennes émotions enfouies qu’il a su transformer en image.

 

Félix Vallotton - Autoportrait - 1897

Comprendre ce que l'artiste dit de lui...vraiment?

Pour commencer et avant toute lecture qui suit, regardons deux œuvres de Félix Vallotton.

  1. Autoportrait à 20 ans – 1885

Si vous deviez analyser ce jeune homme sans rien connaitre de sa vie, hormis le fait qu’il a 20 ans au moment où il peint cette œuvre et maitrise déjà bien la technique picturale, que répondriez-vous à ces questions :

  • Que dit la posture de l’artiste, quel sentiment provoque-t-elle en vous ?
  • Quelle émotion transparait dans cette toile, qu’est-ce qu’elle provoque en vous ?
  • Sans rien savoir de lui, que diriez-vous de l’enfance du peintre, de sa personnalité ?

 

Félix Vallotton - Mon portrait - 1885

Passons à présent à la seconde œuvre.

  1. Autoportrait à la robe de chambre – 1914

30 ans plus tard, le peintre est à présent un artiste installé, ayant acquis une solide réputation. La position du corps, identique au premier autoportrait nous permettra de comparer les deux œuvres sur d’autres critères :

  • Que nous dit-il de lui en se présentant à nous en robe de chambre ?
  • Que pense l’artiste de nous ? Quelle pensée trotte dans sa tête ?

A l’aune de la psychanalyse, Nasio voit en Félix Vallotton transparaitre une émotion particulière : l’amertume. Celle-ci, sans entrer dans une analyse détaillée du psychiatre aurait été engendrée par trois épisodes dramatiques de la vie du peintre enfant, menant toutes, à une profonde culpabilité, celle d’avoir fait du mal aux gens qu’il aime.

Détaillant Autoportrait à l’âge de vingt ans- 1885 à la lumière du sentiment de culpabilité, Nasio rend l’analyse suivante quant à la posture du jeune homme dans sa représentation :

Si nous observons les lignes visibles du visage et imaginons qu’elles se mettent en mouvement, nous aurions l’impression que le personnage nous parle. C’est justement ce visage vibrant de vie que le peintre a saisi pour se représenter lui-même.

Pour ma part, je n’ai pas senti une volonté de parler chez Vallotton. Bien au contraire, la rigueur du costume, la position de trois-quarts et la tête légèrement inclinée vers le bas me donnent l’impression que le peintre me met en garde : « Reste-là. Ne m’approche pas, j’ai peur ». Je n’y vois aucun mouvement mais bien plutôt une posture statique, volontaire ou contrainte. Et vous, qu’elle a été votre interprétation quant à la posture ?

Le psychanalyste poursuit :

Il y a plus, Vallotton a réussi, sans le vouloir et sans s’en apercevoir, à nous montrer l’émotion dominante qui l’habite depuis son enfance, cette émotion qui, de l’intérieur façonne l’aigreur du regard et de la bouche. N’avez-vous pas l’impression que le jeune homme à l’air timide. Et au visage déjà escarpé apparait, au fond de ses yeux et dans les fines courbes de ses lèves un secret douloureux, probablement le regret d’une faute inexplicable ?

Indéniablement, j’ai vu dans les traits de la timidité. Un sentiment profond, puissant, un malaise peut-être même, et pourquoi pas, empreint de culpabilité. Le regard de l’artiste m’impose de ne le regarder que furtivement, je suis presque aussi gênée que lui. Une empathie me traverse, je compatis à son mal-être. En revanche, j’ai plus de mal à entrevoir « l’amertume » que décrit Nasio. Et vous ?

Poursuivons avec l’analyse de la deuxième œuvre. D’Autoportrait à la robe de chambre, Nasio nous dit ceci :

Pourquoi la robe de chambre ? Pourquoi se présenter à nous en habit d’intérieur ? Peut-être parce qu’il tient à se montrer vrai, tel qu’il est habillé quand il travaille dans son atelier ou encore parce qu’il veut nous rappeler qu’il est avant tout le peintre de scènes d’intérieur. Il a peint et gravé des dizaines de chambres et voilà qu’il se peint maintenant dans sa propre chambre !

Grand nombre de peintres ont choisi de se représenter dans leur activité pour asseoir leur statut, leur fonction, parfois la fierté de leur métier. Un pilote de ligne se ferait tirer le portrait en uniforme par exemple. Or, ici ce n’est pas l’habit qui ne fait pas le moine comme le dit le proverbe mais la palette et les pinceaux. L’habit lui est incongru s’il veut marquer le statut de peintre. J’y vois, au contraire, une volonté de se protéger. D’ailleurs la robe de chambre est épaisse et molletonnée. Elle tient plus d’un manteau ample et douillet prévenant les agressions extérieures, y compris celles venant du regardeur. N’étant pas psychanalyse, ma réflexion n’émane que d’une émotion toute personnelle, « un transfert » me répondrait peut-être le psychanalyste.  

En ce qui concerne les pensées pouvant trotter dans la tête de l’artiste, Nasio nous dit :

On le découvre dans la même posture de trois-quarts, en nous jetant derrière de grosses lunettes, un regard méfiant sur fond d’inquiétude. La bouche est recouverte par une moustache fournie qui contraste avec une barbiche dégarnie.

Oh oui, ces éléments sont pour moi aussi le reflet d’une méfiance, d’une inquiétude, impression similaire dans le premier autoportrait. La position de trois-quarts y est pour beaucoup dans ma sensation, amplifiée dans le second par les accessoires tels que les lunettes mais aussi la palette qui fait écran ou les pinceaux qui coupent le bord.

L’artiste semble me dire : « Je ne te fais aucune confiance, si tu tiens vraiment à me regarder fais-le mais surtout ne t’approche pas de moi. » De plus, je vois ici cette amertume dont parle le psychanalyste. On devine même un peu d’agressivité, peut-être même un fond de méchanceté.

À vous d'en tirer votre analyse !

En conclusion et pour paraphraser Jean-Daniel Nasio, l’exécution d’un tableau est généralement pour chaque peintre un dialogue avec lui-même, un moment de méditation, de soliloque fécond en plus d’un geste artistique. L’autoportrait en plus est une plongée en soi, une descente vertigineuse dans l’inconscient. Vallotton aurait accompli un saut au-dedans de soi non pas pour y découvrir des sentiments nouveaux mais pour confirmer un vieux sentiment pénible qu’il connait déjà. Une sorte de masochisme qu’on lui espère avoir été cathartique, même si les œuvres plus tardives permettant d’en douter.

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