C'était tellement mieux avant...ah le mythe de l'âge d'or !
Que celui qui n’a jamais dit que c’était (tellement) mieux avant, me jette la première pierre. A mon époque, nous étions plus disciplinés, quand on était jeune, on avait du respect….et blablabla. Ce fantasme, car vous le savez comme moi, ce n’est pas autre chose qu’un doux rêve, a un nom : LE MYTHE DE L’ÂGE D’OR.
Et les peintres, pas moins rêveurs, l’ont illustré. Allons voir de quelle manière.
C’est quoi ce mythe ?
Apparu dès l’Antiquité, ce mythe raconte ce moment originel de l’humanité où l’homme vit en parfaite harmonie avec la nature et les dieux, où les espèces cohabitent pacifiquement et où une nature généreuse et abondante pourvoit à tous leurs besoins. C’est plus un état que décrit cet âge d’or qu’un récit ou un mythe ; celui d’une humanité heureuse, harmonieuse et innocente, vivant en paix, dans un lieu préservé et bienfaiteur. Le Saint-Graal quoi !
C’était mieux avant…
L’Âge d’or, c’est en quelque sorte le fantasme du « C’était mieux avant » et contrairement à ce qu’on pourrait croire, cela ne date pas d’hier. On a, en effet, retrouvé une stèle datant de 3’800 avant notre ère où on peut lire : Nous sommes arrivés en des temps mauvais, et le monde est devenu très vieux et malfaisant. Les hommes politiques sont très corrompus, les enfants ne respectent plus leurs parents. Il y a là un biais cognitif bien connu, par lequel chacun voit le passé. Regret de sa propre jeunesse, inquiétude vis-à-vis du présent, peur de l’avenir, l’homme a de tout temps eu une fâcheuse tendance à enjoliver le passé et à noircir le présent, voire l’avenir. Mais au-delà du récit et du fantasme, le mythe de l’âge d’or peut devenir matériau à une réflexion morale et philosophique sur la société contemporaine, jugée à l’aune de ce moment mythique et idéal.
Qui a inventé ce truc ?
L’auteur grec Hésiode, tout d’abord, dans Les Travaux et les Jours, puis l’histoire est reprise par le poète romain Ovide dans Les Métamorphoses. Mais étrangement, il est quasi universel puisqu’on le retrouve dans les récits populaires et littéraires de la plupart des civilisations. Ce mythe décrit les quatre âges de l’humanité (âge d’or, d’argent, de bronze et de fer) retraçant le soi-disant déclin inéluctable de la condition humaine depuis une ère idéale et à jamais perdue, jusqu’à sa déchéance. Chouette !
Et c’est quoi la recette du bonheur ?
Des ingrédients toujours un peu les mêmes, au nombre de quatre font la recette de l’Âge d’or. Étudions-la !
C’était le temps où….
Oui un temps et non un lieu. A l’instar de l’Arcadie ou du pays de Cocagne, l’Âge d’or n’est pas un endroit paradisiaque, pas plus qu’un décor ou un environnement, ni même la nature elle-même. Le propos d’Ovide est clair à ce sujet, il s’agit d’un temps. Ce temps est un état dans lequel les attributs du lieu sont à l’image de l’humanité : en paix, en harmonie et dans un esprit de justice. Chaque ingrédient de l’histoire est une métaphore de sa composante.
…on dansait,
Eh oui, la danse est fortement connotée de joie et d’insouciance. Loin des conventions et des règles sociales, les pratiques rituelles sont chargées de significations : le temps de l’innocence avec les rondes enfantines, l’arbre de mai autour duquel les danseurs virevoltent pour annoncer la naissance du printemps, et naturellement le cercle qui évoque, dans la plupart des cultures, la fertilité. La représentation de la danse revête des valeurs hautement symboliques telles que la concorde, l’éternel recommencement, le cycle infini des saisons et des âges, de la vie, la fécondité et l’harmonie de la nature. Elle est également généralement associée aux forces vitales, quasi magiques.
…on mangeait à sa faim sans bosser,
Les hommes cueillaient les baies de l’arbousier et les fraises de la montagne dit Ovide. Le geste de la cueillette est important car il incarne le rapport de l’homme à la nature et plus spécifiquement durant l’Âge d’or. Le fait de cueillir simplement pour se nourrir est le signe manifeste d’une nature abondante. On n’a pas besoin de stocker, thésauriser, engranger, il suffit de prendre ce que l’arbre nous donne pour vivre. Il faut observer les gestes des personnages dans les différentes œuvres pour voir que l’acte n’est pas difficile, pas pénible, ne demande même pas d’effort. Il est naturel et plaisant. Lorsque ce sont les femmes qui nourrissent enfants ou adultes, elles sont l’incarnation de la fertilité de la nature, du don gratuit. Ici, pas de serpent de la tentation, on se sert tout seul sans vergogne et en plus sans bosser !
…et puis on était tout nu et même pas gêné !
Eh oui, l’Âge d’or, c’était avant le péché originel, une sorte d’état primitif, incarné dans le « bon sauvage » cher à de nombreux peintres de la fin du XIXe et début du XXe siècle. Parce qu’il n’a rien à cacher, parce qu’il n’a pas honte, parce qu’il ne connaît pas le jugement, l’homme est nu. C’est l’absence de vice. Les femmes et les hommes ne connaissent pas le froid, l’éternel printemps rend les vêtements inutiles. Et accessoirement, la nudité est offerte pour la délectation et le plaisir des yeux du collectionneur ou du regardeur. Elle est simplement un prétexte pour l’agrément. Et puis c’est totalement transgressif puisqu’il s’agit d’un état nu montré comme une vertu et non comme un vice. Le Saint Graal, quoi !
Et l’âge d’or, qu’en disent les peintres ?
Au lieu de faire l’histoire de ce thème, servons-nous de quelques œuvres pour observer ce qu’en disent les peintres à différentes époques.
Analysons le contexte
Le XVIIe siècle est considéré comme le Siècle d’or de la peinture flamande dont Francken est originaire. L’économie est florissante, la bourgeoisie et les marchands sont friands de peinture, et les commandes affluent. De plus, la Réforme a mis un frein important à la réalisation de peinture religieuse. Les artistes du Nord vont ainsi produire un art profane, privilégiant d’autres genres. L’Âge d’or n’est, dès lors plus un thème religieux mais est traité comme une scène de genre. Le nouvel intérêt porté à ce sujet s’explique par la concurrence rude qui règne entre les peintres, chacun s’ingéniant à surpasser l’autre. Pour séduire les clients – il ne s’agit souvent plus de commanditaires puisque ceux-ci se rendent directement dans la boutique du peintre qui tient pignon sur rue, les artistes redoublent d’audace. On le verra dans les détails aussi érudits que truculents.
Observons le tableau
Nous sommes au milieu de la campagne flamande, mais idéalisée : le peintre semble avoir assemblé des morceaux de nature pittoresque. C’est un bal champêtre. La fameuse ronde est visible dans la partie droite du tableau. Dans celle de gauche, les participants se prélassent, rient, bavardent, se courtisent, font des manières. Si vous êtes familier du thème des Fêtes galantes de Watteau, vous pourriez les confondre. S’il n’y a rien de religieux ici, la morale n’est cependant pas absente, comme souvent également chez les artistes flamands. Regardez le premier plan : un homme, un domestique peut-être sert les joyeux convives. Un citron, des verres de cristal, des volailles sont exposés telle une nature morte. En même temps qu’on fait ripaille, le peintre rappelle avec subtilité la fragilité de la vie. Quant aux couples débraillés ou flirtant, appel aux sens ou dénonciation de la luxure ?
Et c’est quoi la morale de cette histoire ?
Les 4 composantes du thème sont quelque peu bafouées. Oui, on y voit de la nudité mais combien sexuée, un sein qui sort joyeusement d’un corsage, une main baladeuse sur un poitrail, et j’en passe. Oui, on voit de la nourriture en abondance mais elle est sophistiquée, fabriquée et servie par des domestiques. Le travail n’est donc pas absent et ce n’est pas la nature qui nourrit cette joyeuse bande de larrons en foire. Oui, on danse mais on séduit aussi, on drague à tour de bras et pour terminer il s’agit bien d’un temps mais pas celui des philosophes, celui d’une journée quotidienne. Bienvenue dans la vie paradisiaque des riches collectionneurs.
A vous de comparer !
A présent à vous de comparer deux peintres ayant traité le même sujet, dans un lieu similaire mais à un siècle d’écart (Francken vers 1640 et Tremolières en 1739) et dans un contexte très différent (le premier dans les pays flamands et protestants, le second en France sous le règne quelque peu frivole de Louis XV). Quelle est la morale de l’histoire ici ?
Ce n’est pas fini…. Cet article se prolonge ici
À vous de trouver votre âge d'or !
Bien sûr que « quand on possède un marteau on voit des clous partout » mais le tableau Adam et Eve de Suzanne Valadon ne serait-il pas une référence plus ou moins explicite à l’Âge d’or ?
A vous d’en décider !
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