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Dali ou DALLE_E ?

L’art et l’intelligence artificielle, on va où là ?

Des béquilles pour artistes en mal d’inspiration…

Du pillage intellectuel, une vulgaire imitation de notre création…

Mais où va l’Art ?

Théâtre d'opéra spatial - Jason M. Allen / Midjourney

Comprendre le rôle de l'intelligence artificielle dans l'art

C’est quoi le problème avec l’IA ?

Selon Hugues Dufour dans son ouvrage L’Art face à l’IA : vers un imaginaire augmenté, l’IA ou plutôt le fait d’être dépassé par la machine renvoie à la « honte prométhéenne », c’est-à-dire la honte ressentie face à notre vulnérabilité devant la technologie. L’homme a honte devant la qualité des choses qu’il a fabriquées lui-même. Nous étions si fiers de notre intelligence lorsque les technologies que nous inventions restaient à notre service et nous apportaient de la gloire ! Nous avions l’impression de la maîtriser et cela prouvait notre intelligence. Aussi voudrait-on peut-être réduire l’IA à l’accomplissement de tâches viles, signe de notre mépris. Mais pire encore, l’IA s’incruste à présent dans l’art, ce monde qu’on a toujours voulu éloigner de la rationalité, du monde scientifique. Diantre.

Comment ça marche l’IA avec l’art ?

Prenons comme exemple Dall-e, logiciel d’IA pour le grand public, capable de réaliser des dessins et des peintures à partir des données disponibles notamment sur Internet. Alors Dall-e peut-il vraiment générer des œuvres d’art ? De quelle manière s’y prend-il ? Et quelles sont ses principales lacunes ?

Commençons par mettre à l’épreuve les capacités artistiques de Dall-e. L’intelligence artificielle permet-elle vraiment, désormais, de générer de faux Dali ? Pour faire le test, Tom Lebrun a épluché le catalogue d’œuvres de Salvador Dali afin de trouver des tableaux aux titres inspirants. Il a ensuite soumis ces titres à Dall-e pour qu’il produise ses propres œuvres. On peut ici comparer le travail du peintre espagnol avec celui de son homonyme algorithmique :

Les sources principales pour la rédaction de cet article proviennent de l’ouvrage L’art face à l’IA : vers un imaginaire augmenté d’Hugues Dufour et l’interview de Tom Lebrun réalisé par Eve Gaumard pour CScience disponible sur le Web.

Skull and Its Lyric Appendage Leaning on a Bedside Table which Should Have the Temperature of a Cardinal Nest, Salvador Dali (1934)
Ces images ont été générées par Dalle-e un système d’intelligence artificielle qui se prétend capable d’imiter le style de Salvator Dali.

Les résultats sont somme toute impressionnants. Certes, Dall-e n’a pas saisi qu’un « appendice lyrique » était un piano, mais on l’en excusera. Aussi poétique soit-il, le terme n’est pas particulièrement explicite. La relation entre les objets semble aussi poser problème à Dall-e : ni la table, ni le lit, ni la chaise n’attaquent le violoncelle – et le crâne, pour sa part, ne s’accote pas sur quoi que ce soit ! Toujours est-il que les images sont belles et que, pour un néophyte du moins, elles présentent une parenté de style avec les œuvres du véritable Dali.

Comment un ordinateur arrive-t-il à produire de tels résultats ?

Pour le comprendre, intéressons-nous d’un peu plus près au fonctionnement de Dall-e. Il s’agit d’un système d’intelligence artificielle à la fine pointe de la technologie. Il est composé de plusieurs réseaux de neurones profonds qui, tour à tour, accomplissent une partie de la tâche requise pour générer l’image demandée.

Ces réseaux de neurones sont entraînés sur de gigantesques quantités de données. Dans le cas de Dall-e, ce sont 650 millions d’images légendes grappillées sur Internet qui ont été utilisées. Ces données ont servi d’exemples pour les réseaux de neurones. À force d’analyser des millions d’images, les réseaux de neurones sont devenus très performants pour réaliser leur petit bout de tâche.

Sur la chaîne de montage algorithmique-artistique de Dall-e, la nature du travail est diverse. Un réseau de neurones encode les éléments importants d’une requête (le style, les couleurs, les objets, etc.) en langage informatique tandis qu’un autre élabore une image brouillée en lui ajoutant des détails qui la rendront plus claire et précise. Les réseaux de neurones se relaient pour générer une image originale correspondant à la requête d’un internaute.

Or, aussi performants soient-ils, ces réseaux de neurones ont aussi des lacunes.

Et quelles sont les limites de l’IA ?

Elle apprend, mais ne comprend pas encore. Or qu’est-ce que la faculté de comprendre ? Faire des liens entre des données éloignées en apparence ? Non la machine en est capable, elle prédit même de nouvelles relations entre les données. En revanche, elle n’est pas capable d’échafauder des théories abstraites, sans compter qu’elle est spécialisée. L’intelligence humaine établit des liens de façon généraliste sur des sujets qui n’ont rien à voir entre eux. Et pour terminer, l’IA peine à expliquer. L’IA peut aujourd’hui remplacer la manipulation sèche de données, mais pas les interpréter.

La machine a-t-elle une conscience ?

La machine ne pourra pas acquérir de conscience propre tant que l’interaction avec elle se bornera à résoudre des tâches automatisées. Il faudra qu’elle soit capable de discerner les causes complexes des affectifs et des émotions. Aujourd’hui, l’IA est capable de calculer, de classifier, d’ordonner, de discriminer des données et de générer des réponses complexes, mais elle ne pense pas.

En matière de comportements, elle ne fait qu’imiter des processus cognitifs, en particulier ceux permettant d’apprendre.

L’IA sera-t-elle capable de dépasser sa condition ?

Pour l’instant, c’est l’homme qui dirige la machine, elle a besoin de nous. Pour devenir humaine, elle doit se doter de raison. La raison est un mode de pensée qui permet à l’esprit humain d’organiser ses relations avec le réel. Pour Aristote, elle est la « puissance de bien juger et de distinguer le vrai d’avec le faux ». Pour Descartes, elle est « naturellement égale en tous les hommes » et est identifiable au « bon sens » ou à l’entendement. Pour Leibniz, qui parle à cet égard de « principe de raison suffisante », elle est la cause nécessaire de tout ce qui accède à l’existence. De son côté, Kant la définit comme la faculté des principes (et non des concepts qu’il réserve à l’entendement) : elle permet de spéculer sur les idées métaphysiques (comme l’âme ou Dieu) et de fonder la morale. Actuellement, l’IA peut effectuer des jugements basés sur la compilation de données (son expérience) et aboutir à un résultat probant. La machine peut aller du cas particulier (les données) au général, mais pas du général au particulier qui exige la raison. Elle n’est pas dotée de la faculté d’expliquer sur la base de l’expérience ni de raisonner.

La machine pourra-t-elle penser ?

La pensée est une construction de l’esprit, c’est être capable de penser la pensée. Or, la machine peut penser une donnée et en tirer parti, mais elle ne peut pas penser la pensée.

De plus, nos pensées sont enrichies d’affects et d’émotions qui vont être pris en compte dans l’interprétation. Lorsqu’une personne affirme : « je suis heureuse » alors qu’elle ne l’est pas, un humain peut le détecter en analysant son langage corporel ou en le comprenant par expérience, au son de sa voix, ou selon le décryptage du comportement. La machine ne le peut pas (encore).

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Mais alors, ça sert à quoi l’IA en peinture ?
  1. Stimuler la créativité

L’IA peut être utilisée pour créer des peintures. Les artistes utilisent des logiciels de peinture numérique alimentés par l’IA pour créer des effets de lumière et de texture qui seraient impossibles à réaliser avec des pinceaux et de la peinture traditionnels. Les résultats sont étonnamment réalistes, avec des images qui ressemblent à des photographies plutôt qu’à des peintures.

  1. Expérimenter des idées

Un autre avantage de l’utilisation de l’intelligence artificielle dans l’art est que les artistes peuvent expérimenter des idées qui seraient autrement impossibles à réaliser. Par exemple, l’artiste Refik Anadol a créé une installation artistique qui utilise des algorithmes d’apprentissage machine pour réaliser une image générative en constante évolution. L’œuvre s’inspire des données environnementales en temps réel pour créer une expérience immersive en constante évolution. Les visiteurs interagissent avec l’installation grâce à une application mobile, ce qui permet de personnaliser l’expérience.

En résumé, l’innovation artistique est une évolution naturelle de l’art. Les artistes ont toujours cherché de nouvelles manières de s’exprimer et de repousser les limites de la créativité. L’IA offre une nouvelle palette de possibilités. Les logiciels d’IA les aideront à générer des idées et à créer de nouvelles formes d’art, les artistes pouvant ainsi continuer à repousser les limites de l’art et à offrir de nouvelles perspectives sur le monde qui nous entoure.

Certains experts pensent même que l’IA pourrait un jour dépasser la créativité humaine, ouvrant ainsi de nouvelles possibilités d’innovation dans le monde de l’art. Toutefois, il est important de souligner que si l’IA apporte une aide précieuse aux artistes, c’est en fin de compte au créateur humain qu’il revient de donner un sens et un contexte à l’art qu’il produit. Aussi puissants que soient ces logiciels, ils ne peuvent pas remplacer l’émotion et l’expression humaine qui sont à la base de la création artistique. Les artistes doivent donc continuer à utiliser ces outils avec créativité et innovation pour produire des œuvres qui touchent et inspirent les gens. Au moins pour l’instant…

 

Et qu’est-ce qu’on lui reproche à cette IA ?
  1. Dall-e génère des représentations biaisées de la société.

Dall-e est un système probabiliste qui prédit ce à quoi une image devrait ressembler en s’appuyant sur ce qu’il a vu dans le jeu de données sur lequel il a été entraîné. Puisqu’il a été entraîné sur des millions d’images siphonnées sur le Web, Dall-e reproduit (et accentue) les biais des sociétés occidentales. Ainsi, il n’aura pas tendance à générer l’image d’une femme informaticienne, car sur la majorité des images que l’on a utilisées pour l’entraîner, les informaticiens étaient des hommes – et si cela est vrai en matière de genre, le problème est encore plus marqué lorsque l’on s’intéresse à la diversité ethnique.

  1. Dall-e, c’est du pillage de propriété intellectuelle, non ?

On l’a dit plus tôt, si Dall-e arrive à générer des images, c’est qu’il a vu des centaines de millions d’exemples sur lesquels il a appris. Si Dall-e est capable de générer des œuvres à la Dali, c’est qu’il en a vu beaucoup justement.

Reproduire ainsi des œuvres dans une base de données pour entraîner un système d’intelligence artificielle constitue-t-il une forme d’exploitation du travail des artistes ? Les artistes consentent-ils à cette utilisation de leur œuvre ? Reçoivent-ils une quelconque forme de rémunération ? Pour l’instant, non ; ce qui suscite la colère de certains d’entre eux.

Un photographe interrogé par La Presse partage sa frustration : « Je travaille de nombreuses heures sur chacune des photos que je produis. Voir mes œuvres se retrouver sur ce genre de site sans mon consentement devient très frustrant. »

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Et qu’est-ce qui irrite les artistes ?

Ce qui semble irriter particulièrement les artistes cependant, ce n’est pas tant l’inclusion de leurs œuvres dans la base de données à proprement parler. C’est surtout l’imitation de styles qui semble agacer.

Dans l’article de La Presse toujours, un peintre s’inquiète que les œuvres générées par intelligence artificielle ne soient pas à la hauteur du travail original des artistes : « La grande majorité des toiles que je crée, je les jette parce que je juge qu’elles ne sont pas à la hauteur, parce qu’elles n’ont pas d’âme. […] Avec cette machine, il n’y a pas mon jugement final. »

 

Mais que pourrait faire un artiste pour se défendre contre cette exploitation ?

Reproduire une partie importante d’une œuvre originale sans le consentement de l’auteur constitue une violation du droit d’auteur de celui-ci. Les reproductions à l’identique, évidemment, constituent des violations du droit d’auteur, mais le principe s’étend également au-delà des reproductions littérales. Le droit d’auteur d’un dramaturge, par exemple, pourrait être violé par une œuvre qui ne reprend absolument aucune réplique de la pièce originale.

 On pourrait ainsi imaginer qu’un portrait de style pop art du roi Charles III inspiré des portraits qu’Andy Warhol a faits de la reine Elizabeth II constituerait aussi un autre exemple d’œuvre s’appropriant les traits distinctifs d’une œuvre originale d’une manière qui serait protégée par le droit d’auteur. En revanche, le portrait d’une sans-abri qui imiterait le style de ces mêmes portraits ne remplirait probablement pas les critères.

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L’art va-t-il muter avec l’influence de l’IA ?

L’IA, il ne s’agit pas d’être pour ou contre, mais de composer avec elle.

L’un des plus grands défis qui attendent l’artiste du futur sera d’apprendre à transférer son pouvoir créateur à la machine, sans pour autant perdre l’humanité de sa création. Encore aujourd’hui, l’outil technique est au service d’une vision artistique singulière, il est un choix qui conditionne et confère un sens particulier à l’œuvre à venir. En effet, on ne communique pas la même chose avec un micro, une caméra ou un pinceau. Ces outils sont choisis pour exprimer le monde selon des modalités, des contraintes qui leur sont propres. Mais plus la technologie est élaborée, plus elle prend le pas sur l’artiste et elle conditionne son travail. Et nous public, que devrons-nous admirer dans une œuvre d’art réalisée avec l’IA et plus encore par l’IA ? Prenons une sculpture de Michel-Ange, son David par exemple, et mettons-le à côté de Ballon Dog de Jeff Koons réalisé avec des procédés quasi industriels. Bien sûr, la technique est moins admirable chez Jeff Koons, son savoir-faire manuel pour le moins, son habileté, mais… tout le problème est là, notre conception de ce qu’est un artiste se transforme en même temps que les outils techniques évoluent. C’est aujourd’hui le triomphe de l’idée sur la mise en œuvre de cette idée. L’artiste se fait le technicien de l’idée, alors qu’autrefois, il était l’artisan de cette dernière. En fait, nous devons renouveler le rôle que l’artiste doit jouer dans la société.

Mais dans tout cela, quelle est la valeur des œuvres produites par l’IA ?

Sont-elles intéressantes d’un point de vue esthétique et philosophique ? On peut les classer selon un axe qui va de la conversion à l’imitation. Soit elle convertit le style d’un artiste, soit elle l’imite. Dans le premier cas, le créateur surplombe l’IA : la machine est un relais entre la volonté de l’artiste et les règles qu’il utilise, elle les convertit dans un langage qu’elle comprend. L’artiste est dans la même situation que le photographe qui choisit le lieu naturel et l’angle de la prise de vue. L’IA, quant à elle, est l’appareil photo qui convertit ces choix en œuvre photographique. L’artiste fait donc des choix, la machine les convertit. Dans le deuxième cas, l’IA surplombe l’artiste, le créateur. Il crée en amont des œuvres dans un style affirmé et la machine les imite. C’est cette imitation qui pose problème, car dans le cas de la conversion stylistique, les choix de l’artiste continuent de faire partie du processus créatif, l’IA étant l’outil qui les transforme. Mais dès qu’il s’agit d’une imitation, la machine conquiert son autonomie. L’homme devient la nature, la machine devient le photographe… Oui, mais l’homme n’est pas la nature, il a développé un savoir-faire et une créativité grâce à son vécu, sa réflexion, son expérience. Et pour nous consoler, la philosophie antique nous rappelle que l’imitation est une piètre copie du réel. Pour Platon, l’imitation est une copie matérielle et imparfaite de l’Idée. Dans cette optique, l’œuvre qui imite le style d’un artiste possède moins de vérité que l’œuvre imitée. L’IA ne fait que générer une œuvre qui, si elle peut être confondue avec un style authentique, n’en possède pas moins le défaut de déformer la vérité du style imité.

Mais on pourra rétorquer que l’homme apprend par imitation, comme la machine. La seule différence est que l’homme a une âme qui lui permet par exemple de prendre conscience de ses émotions, de ses passions et de les projeter sur la toile, sur le support. Il faudrait donc que la machine puisse purger ses passions pour qu’elle en devienne humaine. Pour terminer, l’homme a la conscience du monde et de l’histoire, celle de l’expérience. La machine n’a pas d’histoire, pas d’influence des passions, elle ne contextualise pas (pour l’instant), elle ne comprend pas ce qu’elle imite, ni pourquoi elle imite. Elle ne répond pas à un besoin impérieux d’imitation, de catharsis, de création. En résumé, la machine n’a ni conscience, ni capacité de raisonnement, ni faculté de contextualisation, elle ne peut expliquer ni comprendre. Elle effectue des « mouvements » réflexes comme un animal.

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Une disruption inévitable ?

L’artiste ne devra plus se contenter de commenter ou de sublimer la société, il lui faudra souvent l’influencer, à la manière des influenceurs contemporains. Comment y arriver ? Simplement en manipulant le langage de son art, sauf que ce langage est « médiatisé » par l’IA autant que par l’esprit. Médiatiser un langage artistique est disruptif, cela crée une rupture et casse les codes. Le langage artistique technologique rompt avec les modèles anciens, sans pour autant que ces derniers soient devenus désuets. Mais il fait table rase. Réellement. Lorsque Picasso inventa le cubisme, il changea les règles formelles, pas l’outil technique qui resta le pinceau. L’homme se retrouve face à la machine et c’est avec elle qu’il dialogue, qu’il s’en prend pour obtenir ce qu’il veut. Le but n’est pas la technologie, mais ce qu’on en fait.

Comment vont réagir les artistes ?

On peut catégoriser les artistes selon leur attitude existentielle. 

  1. Le perfectionniste

L’artiste ambitionne de créer des chefs-d’œuvre. Léonard de Vinci en est un exemple avec très peu d’œuvres à son actif, mais qui sont toutes des chefs-d’œuvre. Il pouvait passer plusieurs années sur un même tableau, à chercher l’expression juste et la réalisation la plus en adéquation avec son idée première. Sa main était plus lente que son esprit, moins agile. Beaucoup d’œuvres sont restées inachevées. Pour le philosophe, notamment Nietzsche, on trouve une véritable noblesse dans les œuvres abandonnées, car l’idée première jamais atteinte s’épanouit dans une plénitude spirituelle alors même que l’ambition esthétique surpasse la réalisation. 

  1. L’explorateur

L’artiste se contente de créer des variations autour d’un style bien établi. Pablo Picasso en est une illustration probante. De l’aveu même de l’artiste, créer des œuvres parfaites ne l’intéresse pas. Pour lui, il était impossible d’atteindre la vérité avec un seul tableau puisque le même sujet peut être peint de plusieurs façons. L’explorateur est doté d’une puissance incroyable pour varier à l’infini son style autour d’un paradigme unique. C’est un artiste sériel, car à partir d’un thème donné, il montre que l’on peut créer une multitude d’œuvres capables de l’interpréter, tout en changeant de style au gré de son évolution artistique. C’est la forme qui intéresse l’explorateur plutôt que le sujet qui n’est qu’un prétexte pour exercer les infinies nuances de ses variations stylistiques.

  1. Le révolutionnaire

L’exemple typique est Marcel Duchamp. Une seule œuvre phare éclipse quasiment toutes les autres. Celle-ci n’est ni un chef-d’œuvre ni une variation d’un style donné, mais une subversion des techniques intrinsèques. Son œuvre Fountain en est l’exemple. Le langage devient performatif et le simple fait de mettre l’objet dans une galerie en fait un chef-d’œuvre. C’est le musée ou la galerie qui justifie son existence. Il n’y a plus de prototype stylistique, mais un objet conceptuel, capable à lui seul d’inspirer d’autres artistes qui vont s’engager dans une nouvelle voie, celle de l’art où l’idée prime sur la réalisation. Les artistes comme Duchamp sont rares dans l’Histoire de l’art. Le public ne peut absorber le choc produit par des révolutions esthétiques qu’en de rares occasions.

Chaque profil artistique se voit mis en relation avec un état particulier du monde qui l’a vu naître. Le perfectionnisme de Léonard de Vinci correspondait à la vision humaniste de la Renaissance, un monde en transformation. L’exploration de Pablo Picasso naît à une époque où les anciennes valeurs sont remises en question et où l’humanité se cherche dans de nouveaux modèles en perpétuelle évolution.

Aujourd’hui, la technologie domine tous les rapports humains. Il est donc normal qu’elle s’infiltre dans l’art. Mais il y a fort à parier que ce nouveau média entraîne les artistes vers un quatrième modèle de pensée. Ils devront trouver un juste équilibre entre les 3 voies précédentes : ne plus être obsédé par la réalisation d’un chef-d’œuvre, ni par l’exploration stylistique systématique, ni par le prototype révolutionnaire qui change l’art à jamais, c’est déjà fait. Le chef-d’œuvre est un état final de l’art, le prototype un modèle initial, et les variations un état intermédiaire et continu. L’artiste du futur devra synthétiser ces façons d’être à l’art.

La perfection se cherche dans l’outil, l’exploration se mène dans l’outil et la révolution se situe dans l’outil. Les savoir-faire manuels s’effacent au profit du savoir-faire technologique, mais cet outil technologique envahit à présent les processus créatifs au cœur même de la production. Désormais, l’outil définit l’art, il n’est plus un moyen, il est le but et l’unique objet de fascination.

Un nouveau rôle à jouer

Selon Hugues Dufour, l’art a joué plusieurs rôles dans l’histoire des hommes. Mais il s’est toujours tenu en marge de la société pour mieux la commenter, la sublimer, la subjuguer, rarement pour l’influencer. On distingue 4 rôles tenus par les artistes à travers les siècles. Chacun incarne une figure dominante et entend susciter un phénomène psychologique et émotionnel.

  1. Le chaman

Il est le plus ancien, il s’incarne dans la figure du musicien souhaitant provoquer la transe.

  1. Le glorificateur

L’artiste veut glorifier Dieu par l’art, et cristalliser la religion au travers de représentations visuelles, du moins en Occident. La religion chrétienne est iconophile, elle a besoin de commenter les textes bibliques au travers de représentations édifiantes. La mission de l’artiste consiste en la sublimation qui élève l’âme au-delà des pulsions fondamentales humaines. Le glorificateur trouve son expression la plus aboutie avec Michel-Ange et la chapelle Sixtine. Cette réalisation utilise des outils techniques simples et seule l’habileté de l’artiste provoque la stupeur. L’effet recherché est de susciter la ferveur des spectateurs, ainsi qu’un sentiment de piété recentrant le corps social autour de valeurs parfaitement identifiées.

  1. Le prophète

Lorsque l’homme redevient le centre du monde au XIXe siècle après les violents coups de boutoir des Lumières contre la religion, l’artiste se meut en guide spirituel de l’humanité dans une volonté de tenir le rôle du prêtre au sein de la société. La figure principale est le poète et Rimbaud par exemple assumait le rôle social de voyant. Il s’agit donc de prophétiser les temps à venir par les mots, par le langage dont l’artiste contourne les règles pour accéder à l’état second que réclame l’inspiration.

  1. Le divertisseur

Ce rôle est plus récent. Il est né dans le courant du XXe siècle. Jamais auparavant l’art n’avait eu pour but de divertir les masses. Aujourd’hui, le divertisseur est une figure dominante qui s’incarne dans le chanteur et l’acteur. Il va à contresens des rôles joués par les artistes au cours des siècles précédents. Pour rallier en masse le public, il lui faut des moyens techniques élaborés. Cette figure sociale est la première qui emploie la technologie comme moyen d’existence, elle ne pouvait naître qu’à une époque propice. Et propice est la nôtre, d’époque, avec son narcissisme à tout crin, son besoin d’identification que l’individualisme et la société de loisir ne font qu’amplifier. Aujourd’hui, un rôle social nouveau apparaît dans le prolongement du divertisseur.

Et l’artiste de demain ?

L’artiste de demain devra agir, comme le divertisseur, avec les technologies les plus récentes, mais sans provoquer aucun phénomène d’identification. Il jouera un rôle de médiateur. Le jeu vidéo, l’artiste numérique et demain le créateur assisté par l’IA créent du Médiart. Cet art suscite un phénomène de réconciliation. L’art n’aura plus pour objet de provoquer un sentiment de sublimation ou de transgression, ni de transe, il devra unir des volontés contradictoires dans une médiation technologique. Le rôle des artistes pourrait être de proposer une jonction entre la société et les technologies qu’elle emploie. Il serait un médiateur social.

 Et là, on va où ?

Beaucoup d’entre nous craignent que l’IA distorde le réel et que l’imaginaire s’évapore. Or, le style est là pour pallier cela. Le style, c’est quoi ? L’expression d’un idéal particulier qui doit tendre à l’universel. Chaque artiste doit trouver un style spécifique pour être crédible. Autrement dit, il doit filtrer le réel d’une façon ou d’une autre pour mieux le commenter, le sublimer ou lui échapper. L’imaginaire de l’artiste nous fait plonger dans l’irrationalité par la force de son style. L’expression par le style est fortement encouragée pour que nous puissions nous concentrer sur les forces que déploie l’imaginaire pour nous arracher au réel. Cette extraction salutaire ne peut s’opérer qu’avec l’expressivité de l’artiste, il va avoir un effet cathartique. Le triomphe de l’imaginaire sur le réel a été atteint par Van Gogh. Les formes déformées, les couleurs recolorées, le style devient un fétiche. Sa postérité ira plus loin avec les Fauves puis l’Expressionnisme. Le réel n’existe plus, il n’a lieu que dans l’esprit de l’artiste où il est déformé et recomposé.

La machine ne va pas distordre le réel, mais le filtrer. Lorsque les outils techniques filtrent le réel, le style peut perdurer. Il n’est plus un miroir déformant du réel, mais une loupe pointée sur lui. Il s’agit donc de faire disparaître le style pour que s’accomplisse la réconciliation entre le réel et l’imaginaire. L’artiste assisté par l’IA amplifie le réel et l’imaginaire sans que le style n’en perturbe l’équilibre. La machine amplifie l’imaginaire et l’artiste amplifie le réel. Auparavant, c’est l’outil qui amplifiait naturellement le réel et l’artiste, par son style, se souciait d’injecter de l’imaginaire. Lorsque l’artiste crée avec le concours de l’IA, il dicte à celle-ci des règles issues du réel et qui correspondent à son humanité. La machine en retour génère des œuvres qui sont le fruit d’un compromis entre l’esprit et la technique. L’artiste discrimine les œuvres de la machine pour l’éduquer. C’est la machine qui filtre le réel plus que le style de l’artiste.

Vers une narration perpétuelle

Regardez les réseaux sociaux, ça ne s’arrête jamais. Le fil se poursuit, se déroule, s’accélère même sans que personne ne puisse intervenir. L’art avec l’IA va dans le même sens. Une narration perpétuelle. L’artiste n’interagit plus avec du code qui rétroagissait selon des schémas fixés par l’homme. La machine ne se contente plus de filtrer le réel, d’effacer le style, elle envoie en continu des propositions uniques, elle génère du contenu toute seule. C’est l’homme qui consommera alors du contenu dans une forme rétroactive qui replace la pensée humaine face à l’ambiguïté. Mais pour aller plus loin, l’interaction homme/machine devra pouvoir engendrer du contenu de façon autonome et inattendue qui entraîne une proactivité de la part du receveur (autrefois le regardeur ou le spectateur). Le receveur, le récepteur, devient actif et participe à la narration perpétuelle.

À vous de voir!

Et vous qu’en pensez-vous de l’intelligence artificielle ?

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