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La Liseuse de Jean-Jacques Henner

Se faire un film...ou un livre dans le tableau !

On ne va pas vous faire un dessin…

C’est assez clair : du ravissement et du plaisir, voilà ce qu’apporte la lecture. La jouissance du texte, l’intimité avec lui, mais aussi un moment à soi permettant l’évasion, la rêverie, l’imagination et plus si intérêt ! Au XVIIIe siècle, les lectures coquines sont en vogue, ce qui fera dire à bon nombre (d’hommes) que l’imaginaire féminin est vil, enclin au romanesque alors que l’imaginaire masculin est viril. Une jeune fille chaste ne lit donc pas de romans ! Pierre-Antoine Baudoin, dans son œuvre La Lecture, ne fait pas mystère des méandres dans lesquels la lecture peut conduire les femmes. « Ces livres qu’on lit d’une main », jugeait Jean-Jacques Rousseau, repris en chanson par Herbert Léonard. On ne va pas vous faire un dessin !!

Pierre-Antoine Baudouin - La Lecture  

Analyser le thème du livre et de la lecture dans l'art

Le temps passe !

Un monceau de bouquins écornés, éparpillés ; que peut bien nous dire cette œuvre de Jan D. de Heem, Nature morte aux livres ? Nous sommes indéniablement face à une nature morte et qui dit « nature morte » dit « message ». Alors, je ne sais si vous avez ressenti la même chose que moi face à cette pile de livres ; pour ma part j’y ai vu des centaines de pages à lire, un savoir encyclopédique infini à portée d’yeux, mais que je n’arriverai jamais à enfiler dans mon esprit en raison du temps qui passe, mais aussi du manque de courage pour m’y atteler !

Jan D. de Heem - Nature morte aux livres

Analyser le thème du livre et de la lecture dans l'art

Au lieu de se raconter une histoire ici puisque celle-ci est déjà écrite dans le Livre des livres… je vous propose de décrire ce que nous voyons pour en cerner le message. Saint-Mathieu, le titre nous en informe, est vêtu d’une toge de style antique, ressemblant ainsi plus à un philosophe qu’à un évangéliste. Il était visiblement en train d’écrire avant qu’un ange ne l’interrompe. Ce dernier fait un geste des doigts qui signifie « la transmission orale ». Son expression témoigne d’une forme de soumission à ce qui est dit. La position du Saint dénote une précipitation à rédiger ce qu’il vient d’entendre. Il n’a, semble-t-il, pas pris le temps de s’asseoir pour écrire. Le livre ici est évidemment la Bible ou tout du moins les Écritures. Le thème des Saints ou des Apôtres, parfois même le Christ rédigeant les Textes est assez courant à cette période, il est souvent interprété comme la transmission directe du message divin, consigné par un évangéliste. Un ange passe….

Caravage - Saint-Matthieu et l'Ange
Suivez ma pensée !

N’essayez même pas de vous soustraire à mon regard, semble nous mettre en garde cette jeune fille. Lisez ceci. Pourtant, elle ne lit pas, elle. Peut-être l’a-t-elle déjà fait. L’expression fixe, la sévérité de la posture et le regard « par en dessous » pourraient le suggérer. Les formes marquées par des ombres nous donnent une idée de la difficulté de la tâche. Seule la rondeur du personnage et du paysage nous apporte quelque espoir de ravissement. Pour finir, le titre du tableau, La Pensée, ne laisse planer aucun doute sur le propos de l’artiste Jean Despujols. Il va falloir réfléchir. Suivez ma pensée !

En nous renseignant sur ce travail, nous apprenons que Despujols, s’il est peintre, est aussi philosophe. Cette œuvre est donc une allégorie de la pensée, le livre un traité de philosophie rédigé par l’artiste lui-même. La peinture serait, pour Despujols, un acte de réflexion, une cosa mentale comme l’a si bien affirmé Léonard de Vinci. Le texte soutient la thèse selon laquelle l’acte de penser est source de l’existence, qu’il ne résulte pas de la volonté de chacun, mais de son appartenance à l’humanité et d’un savoir universel et suprême.

Le doigt de la jeune femme nous invite à suivre sa réflexion.

Le livre est donc utilisé dans la peinture comme symbole de la pensée, support principal de l’activité mentale et son étendard. Depuis son apparition sous la forme d’un codex aux premiers siècles de notre ère, ce document est le principal réceptacle de l’écrit et par conséquent un outil majeur de lecture. Il sert tout d’abord à la transmission des Écritures et donc du message religieux, il devient ensuite le vecteur des pensées de ses auteurs-es avant de devenir un divertissement. Transmettre une pensée, Lucas Cranach le Jeune nous le montre dans le Portrait de Martin Luther. Son livre suffisamment ouvert pour que nous puissions y lire le message et présenté tel un prompteur à l’usage du regardeur fait du Réformateur un prédicateur visuel. Jean-Baptiste Siméon Chardin, dans Les Amusements de la vie privée, nous dévoile élégamment l’activité de la pensée. La lectrice n’a pas été distraite, elle est posée. Les yeux dans le vague, elle vient d’émerger de sa lecture, de son plein gré, pour réfléchir à ce qu’elle vient de lire.

Jean Despujols - La Pensée
Qui suis-je, dans quelle étagère…

Cette œuvre m’interpelle, que voit-on ? Une jeune femme en sous-vêtements simples. Assise sur le lit d’une chambre spartiate. Tiens, il y a des bagages, c’est donc une chambre d’hôtel ! Elle a pris le temps d’enlever sa robe et de la déposer délicatement sur l’accoudoir du fauteuil, d’ôter ses chaussures, mais pas celui de défaire ses valises. Pourquoi ? A-t-elle voulu se jeter sur son livre ? Non, son expression me paraît désabusée et à y regarder de plus près, elle ne lit pas vraiment, son regard vagabonde. Ce n’est pas un livre d’ailleurs, c’est un plan, peut-être de ville. Elle le tient, s’y agrippe presque. Cherche-t-elle à s’orienter ? Should I stay or should I go ?

Le livre, une quête de soi. Se comprendre, explorer ses aspirations intimes, évaluer son rapport au monde, la lecture peut aussi revêtir cette fonction, de nombreux exemples comme celui-ci nous le prouvent. Parfois, cette quête échoue comme dans un autre tableau d’Edward Hopper Incursion en philosophie. L’homme est désemparé, emmuré dans ses pensées, comme dans l’espace de cette représentation malgré la fenêtre s’ouvrant sur un paysage, malgré la lumière qui devrait faire allusion à l’éclaircissement de la pensée, lequel est contredit par l’expression du personnage. Une plongée dans les profondeurs de l’âme comme dans Femme lisant de Georges Braque. Une quête de se définir comme dans Pierrot au livre de Juan Gris.

Edward Hopper – Hotel Room
Que faites-vous dans la vie ?

J’avoue, j’ai triché. Avant de tenter de répondre à cette question, j’ai lu le titre de l’œuvre : Dame au chapeau rouge, Portrait de Vita Sackville-West. J’y ai vu ainsi l’écrivaine et poétesse dans une attitude tout à la fois aristocratique (ce qu’elle était), nostalgique, quelque peu désabusée, mais digne (ce qu’elle était certainement aussi). J’ai admiré cette tenue dans laquelle elle semble tant se draper que s’exposer, aussi excentrique qu’impériale. Elle tient un livre à la main, le sien ou celui d’un ou d’une autre (de Virginia Wolf dont elle fut très éprise), nul ne le sait. Le peintre William Strang semble avoir choisi ce livre plus pour ses qualités picturales que pour sa signification. En raison de la lassitude qu’on lit sans peine sur ce visage, je ne crois pas que Vita ait cherché à revendiquer un statut social ou professionnel comme ont pu le faire d’autres personnes célèbres, peints par elles-mêmes ou par d’autres. On trouve certainement plus une métaphore de ses écrits, introspectifs et sans concessions.

Le portrait d’un personnage avec un livre est un marqueur social. Il peut porter les attributs d’une profession et par là même l’emblème d’un statut et de la dignité associée à des métiers tels qu’architecte, astronome, avocat, chimiste, médecin ou encore magistrat. Accentué par une expression de fierté, le personnage devient alors un érudit, un intellectuel, un patricien, le livre prouvant que les personnages sont lettrés, ce qui, à une certaine époque, n’était pas l’affaire de tous. Agnoli Bronzino nous montre un Dante, dans Portrait allégorique de Dante, si fier de ses écritures qu’il ne nous prête aucune attention. Lorsqu’il s’agit d’un écrivain ou d’un poète, l’œuvre peut symboliser son travail, quelques traits de son caractère ou encore être la métaphore de ses écrits.

William Strang - Dame au chapeau rouge ou Portrait de Vita Sackville-West

Pour aller plus loin…

Le livre peut aussi servir de support pictural pour :

  • Organiser la composition 

Le livre est alors un simple objet inséré parmi les autres éléments de la représentation. Il peut ainsi jouer un rôle pictural, pour structurer la composition par exemple, sans pour autant remplir une fonction métaphorique. Chez Andrea Mantegna dans son Saint Marc par exemple, le livre est littéralement mis en lumière, il dirige aussi le spectateur vers le personnage par le raccourci dont il est fait et les règles de perspective utilisées à dessein. De plus, on pourrait l’ouvrir et pénétrer dans les pensées de l’Évangile de l’Apôtre Marc.

  • Apporter de la couleur ou une ligne 

Dans le même registre que la structuration de la composition, le livre sert à apporter de la couleur, une ligne, une forme comme dans Jeune fille lisant de Gustav Adolph Hennig dont le livre renvoie à l’encolure de la jeune fille et à sa coiffure.

Gustav Adolph Hennig – Jeune fille lisant

À vous de vous faire un tableau !

Faites-vous un film… avec le livre dans la peinture !Après vous être fait un film, après avoir laissé virevolter votre esprit dans le tableau et en complément de votre imagination, voici quelques questions à poser à l’œuvre pour en saisir plus précisément la portée iconographique. Demandez-vous :

Que voit-on ?

Il est toujours judicieux de décrire l’œuvre pour débuter l’analyse. Cet exercice oblige une observation attentive avant d’aborder les autres éléments.

Qui est le lecteur, de qui s’agit-il ?

Un quidam, une personne connue, un personnage mythologique ? Est-ce un homme ou une femme, cela fait-il une différence ? Quel est son rapport au livre ?

Quel est le lieu de la lecture ?

En marchant, en travaillant, sur une échelle, dans un fauteuil, posé ou engoncé dans un siège, juste posé sur le rebord, dans un lit, un cabinet de travail, un studiolo, une bibliothèque, un bain, chez soi, hors de chez soi ? Que nous révèle ce lieu du lecteur ?

Comment sont représentés le livre et les personnages ?

Le livre est-il dans les mains ou posé à côté du lecteur ? Est-il debout, couché, tendu, en réflexion, à genou, allongé, assis, immobile, en mouvement, tendu, concentré ? Que témoigne la posture du lecteur ?

Quelle est l’expression du lecteur ?

Tout à sa lecture, dans ses pensées, confortable, amusé, dubitatif ? Que nous livre l’expression du lecteur ?

Quels sont les attributs du livre et du lecteur ?

Le lecteur a-t-il besoin de lunettes, d’une loupe ? La lecture est-elle accompagnée de nourriture ? Que nous disent ces attributs, pourquoi sont-ils là ? Comment les attributs servent-ils le propos ?

Que nous dit la temporalité du tableau ?

La lecture est-elle prise sur un temps volé ? Le temps est-il suspendu, le lecteur est-il dans l’urgence, ou prend-il au contraire son temps, est-ce le matin ou le soir ? Quelle importance cela a-t-il sur le propos ?

Comment le lecteur ou le livre sont-ils éclairés ?

Par la lumière d’une bougie, d’une lampe, par la lumière du jour, dans la pénombre ? Qu’exprime la lumière dans l’œuvre ?

Et pour compléter votre analyse et votre compréhension des éléments picturaux, procurez-vous le décodeur d’art sur la boutique en ligne.

ART-TOI et vois plus et mieux !

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