Suzanne Valadon - La Grenouille

La beauté des laids?

On a taxé Degas de misogyne, de rendre les femmes en peinture telles des bêtes. Soit, ce pastel ne contredira pas ces propos. Mais allons plus loin avec un nu de Suzanne Valadon, pourtant une femme peintre et observons.

La beauté de la laideur vue par une femme et par un homme

Nous allons comparer ce sujet traité par Edgar Degas et Suzanne Valadon, plus spécifiquement dans des tableaux représentant des femmes entrant ou sortant de la baignoire.

En peinture, le thème de la Baigneuse a principalement pour but la représentation de la beauté du nu féminin. Souvent, les artistes l’ont utilisé comme prétexte pour sublimer la femme. Ce genre pictural, s’il possède ses codes, est truffé d’indices sur la façon dont le peintre la considère.

 

Forts en thème

C’est Degas qui ouvre une nouvelle ère du nu en 1886 avec le thème de la Femme au bain représentée dans un cadre familier et dans des postures naturelles. Est-ce la promiscuité artistique avec Degas qui a encouragé Valadon à traiter le même thème ? Ce qui est certain est que la peintre, avant de l’être et même pendant son activité artistique, fut modèle de nombreux confrères et en particulier de l’ombrageux Degas qui lui vouait une réelle admiration. Mais si le sujet traité est commun aux deux artistes – le nu féminin dans le cadre particulier d’une scène d’ablutions –, l’image qu’ils renvoient de la femme est fort différente. Observons.

 

Qui sont ces femmes ?

Dans les deux cas, ce ne sont pas des Vénus, mais des femmes contemporaines représentées dans leur quotidien. « C’est dans le commun qu’est la grâce », remarquera George Moore de Degas. Elles ne sont ni moches, ni sacralisées, ni caricaturées. Elles sont vraies ; des voisines, des travailleuses du coin, des femmes de la classe ouvrière. Mais si on sent une certaine grandeur dans la représentation de Valadon, il semble que la réalité sociale n’intéresse que peu Degas qui se concentre sur une attitude, une atmosphère, au mieux une élégance, souvent une animalité.

 
Différences de point de vue

Les Baigneuses et plus généralement les Nus de Degas sont presque toujours représentés de dos ou sans interaction avec le regardeur. Les personnages ne le toisent pas, ne le voient pas. Les corps s’offrent à lui sans qu’il ne soit gêné dans son voyeurisme. Lorsqu’un deuxième personnage est visible, son visage ne l’est pas. La domestique du Petit déjeuner après le bain ou celle de Femme sortant du bain sont en effet occupées à servir et on ne voit d’elles que leur geste, tenir une serviette ou une tasse de chocolat ou de café. Ce point de vue confère une impression d’intimité.

Au contraire, Valadon fait poser ses femmes de face. Elles ne sont pas là pour être regardées. Pas de voyeurisme non plus, le point de vue est à même hauteur, le spectateur est mis à égalité. De plus, la bouche entrouverte du modèle et son regard dans le vague suggèrent qu’elle ne cherche pas à séduire. Regardeur et sujet sont simplement mis face à face.

 

Et le décor ?

Chez Degas, le premier plan est souvent occupé par un élément de décor, lui aussi suggérant l’intimité tels un rideau, un lit défait ou le chambranle d’une porte. Chez Valadon, c’est tout le contraire. S’il y a bien une tenture, celle-ci a été placée en arrière-plan et, étant de couleur blanche, elle souligne le corps du modèle par contraste plus qu’elle ne suggère l’intimité.

 

Que nous disent les formes ?

Chez les deux peintres, les postures sont souvent incongrues, voire disgracieuses. Effectivement, la bien nommée Grenouille de Valadon ne met guère la jeune fille en valeur avec sa jambe repliée et son sexe bien en vue. Et que dire de la posture de cette femme dans Le petit déjeuner après le bain de Degas ? Le peintre avouera lui-même avoir parfois « considéré la femme en femelle, dans toute son animalité ». Cependant, si les postures sont assez similaires chez les deux peintres, le traitement des formes fait la différence. Du modelé, des camaïeux de différents tons fondus de beige apportent un volume harmonieux et une sensualité douce chez Degas alors que Valadon cerne chaque forme d’un contour noir, la soulignant. C’est l’enchevêtrement de trois « bâtons » blancs qui désigne le mouvement de la jambe escaladant le rebord de la baignoire et le bras s’y tenant. Le sexe est visible, sans aucun apparat ni apprêt, il est montré en raison de la position du corps. Les formes sont ainsi présentes pour elles-mêmes et c’est par leur truchement que la peintre infuse une certaine grandeur, une forme (un euphémisme) de puissance.

 

Et le propos dans tout ça ?

S’agit-il de beauté ? En raison d’une certaine animalité, le public a vu de l’inconvenance dans les nus féminins de Degas. Ce parti pris lui aura valu d’être taxé de misogyne, accusé d’enlaidir les femmes parce qu’il refuse de les embellir. Mais que fait Valadon ? Rend-elle la femme plus belle ? Tant s’en faut, c’est d’ailleurs ce qui m’a intriguée particulièrement dans La Grenouille. En effet, mon regard a été dirigé en premier lieu vers le sexe de la baigneuse, un pubis glabre et de grandes lèvres béantes. L’encadrement formé par les bras, la ligne des jambes et celles des cernes de formes ainsi que le contraste du blanc de marbre de la peau avec l’arrière-plan foncé ont dirigé mon œil vers cette partie du tableau. Nous pourrions en déduire que le propos de la peintre est de montrer une femme sans faux-semblants, dans toute sa nudité. Il pourrait résider également dans l’expressivité des formes, une démarche d’art pour l’art, de formes et de la peinture pour elles-mêmes.

Chez Degas, en raison du point de vue intimiste, d’un rendu sensible de la peau et du corps ainsi que des mouvements décrits, le propos pourrait résider dans la volonté de traduire une atmosphère, un pan de l’imaginaire du peintre et pourquoi pas un fantasme.

Suzanne Valadon - La Grenouille

Et pour aller plus loin dans le sujet !

Lisez l’article de Caroline Schuster Cordone – Les perceptions et les enjeux de la vieillesse féminine dans l’art à l’aube de l’époque moderne ici https://www.erudit.org/fr/revues/rf/2013-v26-n2-rf01178/1022772ar/  

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