Et donc un carré provoquerait une émotion...

Si l’on comprend aisément qu’une image de personnages tristes ou d’un paysage désolé puisse attrister, il est plus compliqué d’expliquer que nous sachions percevoir des émotions dans un tableau dépourvu de tout contenu figuratif et ne comportant que des lignes, des couleurs ou des formes.

Ellen Winner soutient dans son ouvrage L’art en questions que les images nous transmettent des émotions, et ce, par 3 biais.

1. Par une représentation littérale

Ça, c’est évident. En représentant des scènes que nous jugeons joyeuses (une danse par exemple) ou tourmentées (un combat), l’image suscite des émotions littérales en rapport avec le sujet. Il en est de même avec la représentation d’expressions faciales qui manifestent des émotions. Par mimétisme, elles provoquent la même émotion. Pour preuve, si on demande à un enfant de 4 ans de dessiner un arbre heureux, il y a toutes les chances qu’il le représente avec une bouche qui rit.

Afin d’illustrer ce révélateur d’émotions et les deux suivants, nous allons choisir un seul et même sujet, la danse.

Regardons pour commencer La Danse au Moulin-Rouge d’Henri de Toulouse Lautrec. Nous assistons, telle la dame en rose chapeautée, à un french cancan endiablé. Le danseur est manifestement un client, en témoignent le chapeau haut de forme et l’habit. La danseuse pourrait être une professionnelle de l’établissement, en veulent pour preuves ses bas rouges et son costume de scène. Notre regard entre dans le tableau par l’espace laissé libre, attiré par le pas de danse souligné de rouge, de roux et de blanc-lumière. C’est ici la représentation de la danse qui nous met littéralement en activité. Notre pied pourrait bien se mettre à taper la mesure et la musique du french cancan résonner dans notre tête. Il s’agit ici d’une représentation directe d’émotions.

2. Par la représentation métaphorique de l’émotion

En contemplant la représentation d’un paysage luxuriant ou désolé par exemple, le tableau peut provoquer une émotion par association. Une scène d’orage entraînera souvent un sentiment tourmenté, sujet que les Romantiques prisèrent pour explorer le sentiment philosophique du Sublime. Ce deuxième biais, métaphorique, peut être ressenti dans La Danse de Matisse. Ici, et bien que la représentation soit figurative, celle d’une danse, ce sont bien plus les formes, leur agencement et les couleurs les soutenant qui nous font virevolter. L’émotion est provoquée par une analogie à son expression.

3. Par une représentation formelle

Couleur, lignes, composition, texture peuvent susciter des émotions. Mark Rothko affirmait que la forme et la couleur ne l’intéressaient pas pour elles-mêmes, mais pour leur force expressive sur les spectateurs du tableau. Je ne m’intéresse qu’à l’expression des émotions humaines fondamentales telles que la tragédie, l’extase, la mort et le fait que beaucoup de gens s’effondrent et fondent en larmes devant mes tableaux montre que je communique ces émotions. Si le titre de l’œuvre de Martial Perrucon, La Danse, est encore la métaphore d’une représentation, les formes sont presque complètement abstraites. Les mouvements des danseurs ne sont plus véritablement représentés, mais suggérés par le geste du peintre, visible à travers les traces laissées par la peinture, la matière et les tons. Ce sont ces éléments formels qui ouvrent l’accès à des émotions, à un savoir et à une potentielle conscience d’un soi intérieur. Ce sont des révélateurs d’émotions.

Ainsi, telle couleur provoquera telle émotion. Le noir pourra ainsi être associé à la nuit et à la solitude. Il en est de même pour les formes et les lignes. Selon certains chercheurs, notre perception serait dirigée par des associations apprises alors que pour d’autres, elle le serait par des similitudes.

Mais finalement, quels que soient les mécanismes, pour nous regardeurs, seule l’émotion compte et plus particulièrement la nôtre.