La Répétition générale !
Qu’évoque pour vous la notion de répétition ?
Peut-être des notions comme ringard, dépassé, académisme même. L’art moderne et contemporain est souvent synonyme d’invention, de liberté et d’autonomie. Chaque artiste est censé se différencier de ceux qui l’ont précédé. Chaque œuvre devrait être une nouvelle aventure, quelque chose qui ne tolère ni le repentir, ni la répétition. Le principe selon lequel la peinture moderne ne peut plus relever de l’imitation est acquis.

Qu’évoque ce mot en peinture ?
Écoutons Hermann Muthesius nous en parler :
Aucune imitation, d’aucune sorte, chaque objet apparaît pour ce qu’il est […].
Il n’est donc plus question d’imiter, démarche perçue comme une forme de répétition. Les artistes modernes ne peuvent décemment plus partir d’un élément extérieur pour le reproduire, le répéter. Ils doivent faire surgir l’œuvre des moyens matériaux tels que la ligne, la forme, la couleur, la texture, mais également du matériau comme dans l’Arte Povera.
D’autre part, il est devenu aussi terriblement ringard de copier. Si la peinture asiatique et chinoise en particulier puise sa puissance dans la répétition du geste du maître pour ne pas dire sa copie servile (jusqu’à ce que l’élève dépasse le maître), il n’en est pas de même en Occident. On ne répète pas sous nos latitudes, on crée. On ne reprend pas sous peine que l’œuvre soit perçue comme décorative, facile et plaisante. Marie Laurencin en fit les frais.
Pourtant, Éric de Chassey, commissaire de l’Exposition La Répétition du Centre Pompidou-Metz a dénoté de nombreuses démarches artistiques modernes et même contemporaines dans cette notion de répétition telles qu’essayer, insister, multiplier, arpenter, compter, fixer, persister, accumuler, redoubler, réitérer, scander et recommencer.
Prenons tout d’abord l’essence même de la notion avec l’œuvre de Marie Laurencin, bien-nommée La Répétition peinte en 1936.
Celle-ci représente une scène de préparation à un récital. Le sujet est littéralement une répétition, soit. Mais cela va plus loin. Les protagonistes se présentent comme des itérations d’un même type. Les mêmes couleurs acidulées, le même type de costume (« normal », me direz-vous puisqu’il s’agit d’un même corps d’artistes), mais aussi les mêmes formes, les mêmes cheveux, le même collier, les mêmes mains et, plus encore, le même visage. Quel est l’intérêt ici de la répétition (et on ne parle pas du sujet) ? J’y vois un rythme, comme une partition. Les notes ont des valeurs de temps différentes bien qu’ayant une base de formes similaires, analogie facile à établir avec le tableau. Ces visages similaires scandent également sa lecture, imprimant des hauteurs de tons différents. En s’en imprégnant, on pourrait bien entendre la musique jouée par les concertistes.
Poursuivons avec la notion d’Essayer. Jusqu’à la fin du XIXe siècle, il y a une séparation assez nette entre l’œuvre d’art et les essais qui l’ont précédée, exception faite de Turner peut-être. Ce sont les artistes traditionnels qui répètent, les modernes au pire tâtonnent, mais mieux, trouvent. Picasso disait : Je ne cherche pas, je trouve. Et pourtant… François Morellet, en 1952, peint non seulement une répétition de formes géométriques, mais « pire encore », reprend en 2006 le même motif, l’agrandit 4 fois et brouille au passage la notion d’original et de copie. Et toc.
Terminons notre observation par la notion de « compter ». Compter, c’est répéter inlassablement et de façon comptable les objets, mais aussi le temps. Roman Opalka matérialise le passage du temps dans Opalka 1965/1 à l’infini. Qu’a fait cet artiste pour le moins singulier (sans que l’on puisse lui attribuer formellement cette notion) ? Il a peint les nombres de 1 à 5 607 249 pendant plus de 40 ans. Ils apparaissent et se suivent en rangs serrés, sur une longue série de tableaux peints entre 1965 et 2011. À son commencement, l’artiste avait 35 ans et cette œuvre s’est imposée à lui comme une évidence bien qu’il ait su immédiatement qu’elle ne s’achèverait qu’à sa mort ! Qu’a-t-il fait ? Il a tracé 38 139 612 chiffres, donc répété plus de 5 millions de fois l’écriture d’un nombre. Et pourquoi ? Opalka en parle ainsi :
Je voulais manifester le temps, son changement dans la durée, celui que montre la nature, mais d’une manière propre à l’homme, sujet conscient de sa présence définie par la mort : émotion de la vie dans la durée irréversible. Le temps arbitraire des calendriers, des horloges ne m’intéresse pas. Il s’efface de lui-même par la répétition qui le définit, focalisation seule du présent.
La répétition n’en est donc pas une ici. La répétition n’en est jamais… on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve !

À vous maintenant de prendre un rythme !
Choisissez une œuvre représentant une foule ou un grand nombre de personnages et observez les regroupements. Demandez-vous pourquoi le peintre a choisi de former des groupes de 2, 3 ou 4 personnes. Observez le rythme imprimé par ces regroupements. Tirez-en vos conclusions.
Et pour compléter votre analyse et votre compréhension de la composition, notamment du rythme et des lignes directrices, procurez-vous le décodeur d’art sur la boutique en ligne.