L'art, ça change la vie!

Oui car il est insolite

Avant toute chose, l’art n’est-il pas condamné à être insolite car dans le cas contraire, il tomberait dans la banalité, le cliché, le stéréotype, bref une platitude sans intérêt.

Le propre de la création est naturellement de sortir de l’ordinaire, de la routine, de la répétition et du quotidien. Pourtant l’insolite ne le reste pas. Quand le regard s’y habitue, l’insolite disparait comme l’étrange. Cependant, il faut au départ que quelque chose s’enclenche, il faut que ce soit déroutant et difficile pour attirer l’attention. On dirait disruptif aujourd’hui. Cette étape permet d’interroger, permet la réflexion.

L’insolite comme l’étrange peut donc être de l’ordre de l’originalité questionnant. Il peut être aussi ce qui se manifeste et qui frappe mais de manière déplaisante. Telle une sorte d’erreur, de faute de goût. Quelque chose de malvenu dont la vue est désagréable. Et pour terminer l’insolite peut aussi être plaisant, divertissant, apporter un agréement, et pourtant rester insolite.

Oui, car il est utopique

L’art peut être l’expression de l’art : l’utopie dans l’art montrant ce qui manque. L’art introduit dans le présent un autre possible. L’artiste introduit un autre lieu dans le monde. Ce nouveau lieu est l’œuvre. L’œuvre ouvre un espace dans le présent. L’œuvre est une ouverture sur un autre monde, elle convoque le monde.

L’art bouscule, perturbe, provoque, malmène le réel. Il ironise, critique, condamne et produit de l’écart. Par cette relation critique vis-à-vis du réel, l’artiste éclaire la réalité.

En plus d’être le lieu de l’utopie, l’art est une plongée dans l’imaginaire ou une expression de celle-ci.

« Chaque œuvre nait, du point de vue technique, exactement comme naquit le cosmos. Par des catastrophes qui, à partir des grondements chaotiques, des instruments, finissent par faire une musique des sphères. » Kandinsky

A travers ses réalisations, l’artiste exprime ses manques, ses désirs, ses pulsions, des obsessions, ses craintes, ses angoisses, ses réactions. Dans la pratique, il peut tout imaginer, tenter, explorer, expérimenter, inventer. Il se donne le droit d’ironiser, de transgresser, de condamner, de détruire, de toucher les extrêmes, de risquer et de se risquer, de perturber, de troubler, d’embellir ou de témoigner l’horreur. L’audace, l’insolence, les transgressions des artistes sont l’oxygène de la société. L’art est un espace de création ET d’insoumission, de refus et de transgression.

Oui car il est banal et ordinaire

L’insolite n’est pas nécessairement inquiétant comme dans la vie quotidienne, il peut simplement procurer une note de fantaisie. Il égaie alors un quotidien sans relief. Or, la difficulté du banal ou de l’ordinaire est tout de même de provoquer une réaction. Comment parler de ces choses connues, comment les sortir de la gangue dans laquelle elles sont engluées, comment leur donner un sens se demande Georges Perec.

Valoriser l’ordinaire est-il compatible avec la notion d’insolite dans l’art ?

Regardons Rauschenberg et Combine painting, Schwitters avec Merzbau, Spoerri avec ses tables pièges ou encore Arman avec ses poubelles. Tous, ils esthétisent l’inesthétique, créant de l’inédit avec du banal, transformant de l’ordinaire en insolite.

En s’emparant du commun de la vie quotidienne, les artistes créent parfois une déroute ludique et critique. Ils font jaillir une autre réalité, nous sollicitent et nous encouragent à regarder les choses différemment. S’appropriant et recyclant les fragments du réel, ils leur donnent un nouvel aspect et une nouvelle fonction. Ils transfigurent le commun et modifient le statut des choses.

Oui car il est étrange

L’étrange est ce qui va à l’encontre des habitudes et des usages. L’étrangeté résulte de l’introduction déconcertants dans l’œuvre. L’étrange fut d’abord considéré comme une faute. Pensons à Jérôme Bosch, à Arcimboldo, à De Chirico, Dali ou Wifredo Lam.

Les dadaïstes ont cultivé systématiquement l’étrange, le bizarre, l’insolite. Ils s’en sont servis pour rompre avec les formes artistiques traditionnelles et produire de l’inattendu, de l’étonnement, du troublant. L’étrangeté est devenue synonyme de liberté prise par rapport aux traditions iconographiques.

Oui car il est inattendu, audacieux

L’audace artistique peut être intérieure à l’œuvre qui contient son propre danger, qui met l’œuvre en péril, l’autre est lié à son public. L’œuvre est alors exposé au regard et au jugement du public qui en retour peut faire preuve de réticence, de critique ou de franche hostilité. La raison en est que l’artiste dérange des habitudes et les normes d’une société donnée. Les normes transgressées sont soit d’ordre esthétiques soit d’ordre anesthétiques (morales, religieuses, sociales, etc.)

L’audace est utile au regardeur car elle suscite une réflexion sur sa critique, son objectif, son but, sa provocation, et comme elle est en décalage, elle permet de se distancier, de prendre du recul vis-è-is de son propos, de le tenir à distance mais elle suscite aussi émoi, inconfort, choc. Elle fait passer de la tranquillité d’esprit et d’émotions à l’excitation.

Elle montre qu’on peut oser, les possibles, l’insoumission.

Mais l’audace est toujours temporelle. Elle ne fait son effet que quand elle arrive sur le marché au moment de sa création. 200 ans plus tard, ce n’est plus l’audace qu’elle montre.

Oui car il trouble

L’œuvre déroute, elle déconcerte et désoriente, elle fait changer d’itinéraire (la pensée). Elle rompt avec nos habitudes, elle est une interruption, elle malmène, déjoue.

Oui car il transgresse

Il conteste les dogmes, les règles, les codes et les lois. L’œuvre fait sauter les verrous, des croyances, des lois et des dogmes, des préjugés. Elle ébranle la légitimité d’un système de valeurs, elle peut être perçue comme une agression, elle secoue.