Le peintre vous raconte des histoires!
Il était une fois un groupe d’artistes qui en eurent assez que la publicité, la politique, la société leur racontent des histoires. Ils décidèrent alors de « se la raconter » eux-mêmes. Ils se marièrent dans un même esprit créatif et créèrent beaucoup d’enfants en peinture, en photographie, en cinéma !
Nous sommes dans les années 60. La société de consommation connait un essor considérable soutenue par un pouvoir d’achat jamais atteint auparavant. La classe moyenne monte en puissance. La publicité est partout et l’œil du consommateur, peu habitué à ce martelage, n’est pas encore critique vis-à-vis des images qu’elle diffuse. Les illusions se multiplient telles le corps féminin parfait, la vie parfaite, le couple parfait, la maison parfaite. De plus, la Guerre d’Algérie, les évènements de la Guerre froide, la Guerre du Vietnam donnent lieu à des images chocs dans la presse. Un groupe d’artistes va s’emparer de cette imagerie pour dénoncer la manipulation médiatique, les stéréotypes de désir, les aspirations fabriquées, les injonctions et les tensions engendrées par les médias.
Cependant, ils choisissent non pas de dénoncer ni de renverser l’ordre établi, mais de raconter leur vision des choses à travers l’art. Le potentiel subversif des œuvres doit tenir de leur dimension esthétique et non d’un discours explicite, diront les protagonistes de ce courant sans manifeste. C’est à travers les éléments picturaux que les propos sont rendus compréhensibles, que l’histoire est racontée. Ainsi, nait la Figuration narrative.
Comprendre comment les peintres nous racontent des histoires
Détourner l’Histoire
On verra les artistes dénoncer l’impérialisme américain, les dérives de la société de consommation ou la situation politique. D’autres artistes se contenteront simplement de commenter l’actualité ou de raconter leur version de l’Histoire tel Hervé Télémaque s’exprimant picturalement sur l’invasion de la République dominicaine par les Etats-Unis en 1965. Avec son titre et ses sujets, le tableau parait traiter a priori d’un sujet d’actualité. Pourtant, des indices tels qu’une inscription Faisons de nos pas emmêlés une couronne pour son ombre ou cette forme jaune incongrue emprisonnée par un lien noir brouillent la narration et entraine le tableau vers une forme de poésie. Ces œuvres stimulent notre imagination et nous conduisent vers notre propre interprétation : Un rouge, oui mais pas n’importe lequel, légèrement rosé. Pour moi, il ressemble plus à la couleur des vêtements des personnages de BD qu’à un rouge apocalyptique. Le soldat au premier plan me permet d’entrer dans l’œuvre tandis que le second, dans l’ombre, me perd dans cette scène chaotique. Je tente alors de me raccrocher à quelque chose de plus pacifique. En regardant sur la gauche de la composition, mon regard croise un glouton clownesque en train de se goinfrer et une jolie Madame au sourire Pepsodent. Malaise assuré.
Raconter une vision du monde
Les artistes de la figuration narrative s’approprient les symboles contemporains pour faire passer des messages, des propos telles la superficialité du monde, la perte d’identité ou la standardisation du goût. Observons ce qu’ils nous disent de :
La superficialité du monde
Christian Babou dans Grand Standing nous démontre par exemple la superficialité, l’uniformité et la perte d’identité du monde moderne par le truchement de formes graphiques donnant un sentiment d’aseptisation, des aplats pour rendre cette atmosphère étrange de déshumanisation et une esthétique qui conditionne le regard.
Dans cette image, je vois ces villas standardisées, parfois même préfabriquées, et souvent abordables qu’on a construit à la hâte dans les années 60 pour loger cette nouvelle classe aisée. Je reconnais, ici, une imitation plus ou moins habile de l’architecture patricienne du Classicisme français. Conçues pour repousser l’intrus, les grilles servent également à mettre le bien immobilier en valeur, à me jeter de la poudre aux yeux. Mais, malin, le peintre m’oblige à rester hors de la scène et à apprécier la beauté de l’objet. Je m’arrête, sidérée par tant de prétention. Et à y regarder de plus près, je vois ici la superficialité élevée au rang d’art : pas un brin de mauvaise herbe sur le vert gazon, pas une tache sur les façades, pas un jouet qui traine dans le jardin. Tout a été aseptisé…par le peintre.
La femme-objet
Bien que la plupart des artistes de la Figuration narrative soient des hommes, ceux-ci ont alors dénoncé le schéma obsolète imposé aux femmes, le carcan du patriarcat, notamment dans la publicité et les médias.
Dans Femme objet, Peter Klasen associe volontairement les clichés qu’il superpose comme pour les fondre ; une voiture de luxe et une femme glamour ou lascive. C’est une allusion directe à la publicité où la figure de la femme est instrumentalisée comme symbole de réussite…des hommes. En effet, à cette époque, un homme qui réussit doit posséder un objet de luxe et une femme…de luxe, c’est-à-dire ravissante et désirable. La superposition, plus encore que la juxtaposition permet de faire s’entrechoquer les éléments, la confrontation de l’image stéréotypée de la femme et l’univers de la machine ont créé un malaise.
La déshumanisation d’un système
Gérard Fromanger, par exemple, nous emmène dans les rues de Paris, observant et dépeignant le quidam, des gens qui ne sont que l’ombre d’eux-mêmes. Ils n’ont ni importance, ni identité. ils n’ont même plus une personnalité propre. Ce ne sont que des pions dans un décor et le décor devient sujet. Pour quel propos ? La ville, la société, la consommation auraient-elles pris le pouvoir sur l’homme, avalé par le système ? Comment puis-je conserver mon identité, ma valeur, ma légitimité en tant que personne dan cette société qui ne me reconnait plus que comme un consommateur ? semble nous interroger ce tableau.
Se faire un film…sans film
Est narrative toute œuvre plastique qui se réfère à une représentation figurée dans la durée, par son écriture et sa composition, sans qu’il y ait toujours à proprement parler de « récit ». La figuration intègre une dimension temporelle dans l’image fixe ; volonté de produire un impact visuel ou manifestation d’une certain urgence de l’expression. Hervé Télémaque
La photographie et plus particulièrement le cinéma occupent une place centrale dans l’univers des artistes de la Figuration narrative car ce dernier médium permet d’exprimer la durée. Mais comment rendre cet espace-temps sur un support en deux dimensions ?
Des artistes comme Jacques Monory ont joué avec le hors-champ, l’arrêt sur image, la superposition de plans. Analysons ensemble l’usage des éléments picturaux pour rendre la notion de durée en peinture.
Ici, Jacques Monory emprunte au cinéma la structure d’un plan-séquence pour organiser sa toile. Il déroule une unité dramatique en regroupant plusieurs éléments sur un même plan : sur un panneau, un homme prend la fuite (figuré par son prolongement hors espace du tableau). Une personne est à terre sur le second, partiellement représentée. Sur ce second panneau, un miroir nous induit (de force) dans la scène, notre image introduisant une autre dimension. Un miroir brisé par les impacts (réels, le peintre a troué le miroir) de balles établit une unité de temps dans les lieux de l’action. Cette succession de plans dans une même composition se réfère à la durée diégétique d’un film. De plus, l’inclinaison du plan provoque l’illusion d’une scène prise à la volée. Sa dominante bleu nuit, lumière d’un rêve éveillé, contraste avec le réalisme de la figuration et renforce ce basculement du réel vers l’irréel, voire vers le cauchemar. Vous en voulez plus? Téléchargez l’article complet.
À vous de vous raconter des histoires !
Vous connaissez ce jeu inventé par les Surréalistes où l’on tente de former une histoire cohérente avec des mots pris au hasard dans un dictionnaire ou un texte ?
Ici, on dirait un pot pourri d’images n’ayant aucune relation entre elles, aucun sens. A vous de raconter une histoire avec des images qui paraissent totalement incohérentes et en vous servant du titre !
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