Rendons à l'art ses lettres de noblesse !
Une lettre ouverte, encore cachetée, mise en évidence ou partiellement cachée recèle toujours pour le regardeur de la scène un peu de mystère.
Observer le sujet et l'interprêter
En peinture, son contenu ne peut qu’être interprété, et ce, par l’expression ou l’interaction des personnages, par quelque objet symbolique ou parfois par une scène. Notre curiosité est attisée et nous allons, de fait, observer plus attentivement l’œuvre, scruter les éléments qui pourraient nous renseigner, tenter d’interpréter.
Mais là, la femme nous regarde. D’un air vague. La lettre est posée devant elle, cachetée et posée en équilibre précaire sur l’avant-plan. Elle porte une sorte de peignoir, sa coiffure est légèrement négligée, sortant apparemment de la salle de bains. Notre regard court entre celui de la dame et la lettre, cherchant désespérément à les lier. Son corps et ses bras ballants forment un rempart. Nous pourrions saisir cette lettre, mais nous avons le sentiment qu’elle ne nous laisserait pas faire. Pourtant, la missive se présente dans notre sens de lecture, un coin dans le vide, comme une invitation à la saisir.
Nous sommes bien loin des représentations de lettres de la peinture hollandaise du XVIIe siècle. Celles-ci sont souvent représentées en raison de l’importance accordée aux échanges épistolaires et par corrélation, témoignant d’un niveau d’instruction supérieure chez le lecteur, destinataire. Ce prétexte n’en est plus un à l’époque contemporaine.
Tout au long du XVIIIe puis au XIXe siècle, de nombreux peintres tels Fragonard, Raoud ou Rotari ont représenté des personnages, souvent des femmes d’ailleurs, lisant. Le propos se veut intimiste, le sujet nous permettant d’imaginer une histoire, celle du personnage recevant la missive ou même la nôtre. Aucune représentation, à ma connaissance, ne donne à voir une lettre abandonnée dans son enveloppe comme c’est le cas dans cette œuvre. Il y a dans la plupart d’entre elles une interaction directe ou indirecte avec la missive. Les personnages la lisent, la tiennent, la rédigent. Lorsque celle-ci est posée ou abandonnée, c’est le personnage indirectement qui fait le relais avec cette lettre, manifestant une expression de joie ou de peine.
Dans notre exemple, cette femme semble ne faire aucun cas de la lettre, de ne pas y prêter garde. Le regard vide appuie cette impression. Pourtant, sa posture de face, quelque peu massive, fait front et empêche le regard de se poser ailleurs que sur elle ou sur la lettre. Un fond neutre renvoie lui aussi aux deux premiers plans. Deux détails attisent notre curiosité, le fait que le coin de la lettre soit dans le vide et représentée dans notre sens de lecture. Alors même que cette femme regarde dans le vague, on essaie de lui signifier qu’il y a du courrier devant elle, de l’encourager à le lire. C’est ainsi que l’œuvre acquiert « sa » lettre de noblesse, par son interaction avec le regardeur.
À la lettre !
Comment avez-vous réagi en voyant cette œuvre ? Comment auriez-vous réagi si vous aviez été dans le tableau ? Qu’évoque cette lettre pour vous ?
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