Comment regarder un tableau ?...en détails !
Avez-vous remarqué qu’il est impossible de regarder un tableau dans son ensemble ? Tout le monde peut se laisser imprégner par une image globale, mais certaines zones – celles que l’œil ne fixe pas -seront floues et seule une petite parcelle pourra être nette, un instant.
En fait, on ne peut regarder un tableau qu’en le détaillant et en cela nous répondons déjà partiellement à notre question initiale : Comment regarde-t-on un tableau ? En détails !
Comprendre l'importance du détail en peinture
Le détail sera justement le sujet de notre expérience d’aujourd’hui. Pour le traiter, nous allons utiliser la méthode de lecture du très regretté Daniel Arasse qui résume son ouvrage Le Détail – Pour une histoire rapprochée de la peinture dans un podcast diffusé par Radio France https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/une-histoire-de/pour-une-histoire-rapprochee-de-la-peinture-3853419
Et à quoi cela va-t-il bien pouvoir nous servir de s’occuper des détails ?
Tout d’abord, on ne voit vraiment un tableau qu’en passant un peu de temps sur l’œuvre. Regarder vraiment un tableau requiert de se pencher sur ses détails justement. Mais surtout, le détail nous surprend, nous alerte, nous questionne et nous interroge :
- Pourquoi y a une coulure ? Il est maladroit, ce peintre ?
- Pourquoi y a un escargot ? En plus, il est énorme. C’est quoi ce truc ?
- Pourquoi le peintre a fait des montagnes à l’arrière de La Joconde, elle est où d’ailleurs ?
Cet article vous détaille les quatre manières de détailler le tableau (redondance volontaire pour bien ancrer le sujet dans votre esprit), définies par Daniel Arasse :
1 Détailler le tableau
Commençons par le « détaillement » du tableau et pour expérimenter ce type de regard, choisissons une œuvre de grand format, pas une toile gigantesque, non, quelque chose d’un peu plus modeste (pour les dimensions tout du moins). Soyons fous, rendons visite à cette chère Mona Lisa. Inutile d’aller au Louvre, vous ne pourrez jamais réaliser cet exercice tranquillement. Non, non, téléchargez la reproduction de l’œuvre, dimensionnez l’image pour qu’elle prenne toute la surface de votre écran et observez.
Bien que ne mesurant dans la réalité que 77 x 53 cm et sur votre écran guère moins, on ne peut embrasser l’ensemble. Evidemment, vous allez la regarder dans les yeux tout d’abord. Et en faisant cela, le reste ne sera que perception, une sorte de flou (artistique je veux bien) mais pas net. Vos yeux vont gambader sur l’œuvre, vous allez la saucissonner, vous attachez à quelques éléments (l’œil ne scanne pas), repartir sur d’autres. En vous promenant, certaines zones seront floues et d’autres nettes. Cela peut d’ailleurs être frustrant ou agaçant. Mais, cette contrainte physiologique vous obligera à la regarder plus longuement. »
2 Détailler la représentation
Pendant votre promenade, vous serez soudain captivé-e par un endroit particulier : le chemin qui serpente, les montagnes bleues, le nez qui ressemble à celui de votre grand-mère, le pli à la commissure des lèvres (on en a tant parlé de ce demi-sourire que vous ne pourrez y échapper) ou encore la texture des vêtements. Daniel Arasse parle d’un « détail de la chose représentée », il prend l’exemple de la croûte du pain dans La Laitière de Vermeer.
Cette observation vous permettra peut-être de constater que le peintre a représenté ces éléments de façon nette alors que les autres zones du tableau sont légèrement floues. Et vous vous demanderez certainement pourquoi. Une réponse vous est donnée dans un autre article disponible sur ce site : https://art-toi.com/obscure-cette-camera/
3 Détailler l’iconographie
C’est le détail qui tue, celui qu’on ne regarde jamais ou rarement. Ainsi, combien d’entre nous ont déjà remarqué cet objet du tableau, sans doute le plus proche de notre époque – la chaise sur laquelle la mystérieuse femme est assise ? Et surtout regardez, dans son prolongement, les mains de Madame Lisa. C’est incongru. Dans les films, il s’agit souvent d’anachronismes involontaires (une montre digitale portée par un acteur dans un film historique se déroulant au Moyen Âge – non Apple Watch n’était pas encore lancée…). En peinture, évidement ce genre de boulette n’arrive pas. Donc, si vous voyez une mouche sur un tableau du XVe siècle, il y a au moins deux possibilités : c’est un insecte vivant et là vous êtes dans un lieu muséal pour le moins vétuste ou le diptère a été peint par l’artiste et ce n’est sûrement pas par hasard. A vous de chercher sa signification !
4 Détailler la peinture
C’est le moment où on regarde la technique, la peinture pour elle-même : une coulure, une tache, une goutte de peinture (non pas une craquelure, ça évidement notre brave Léonard aurait préféré l’éviter). Ce détail disloque le tableau et notre regard. Notre regard va être attiré par ce rien et nous renvoyer à ce qu’est un tableau, c’est-à-dire un…tableau, une peinture, un objet fait par un artiste avec des pigments, de la pâte, de la matière, de la couleur.
Dans cet exemple, oubliez les craquelures (outrage du temps et non de la main de Vermeer et regardez le mur. Il est abimé. Oui, le peintre a, en effet, réalisé des taches sur la surface représentant le fond de la scène. Et pourquoi donc ? Pour brouiller votre esprit, pour vous faire croire que vous êtes dans le réel et non dans une peinture. Pour faire vrai.
Lorsque la peinture (la technique) est visible, elle l’est toujours pour une bonne raison, rarement par maladresse. A vous de la chercher cette raison !
À vous de faire dans le détail !
Et pour votre expérience personnelle, je vous propose de suivre les conseils de Daniel Arasse dans un second podcast sur le même sujet https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/une-histoire-de/la-peinture-au-detail-7990030, résumé ici :
Baladez-vous dans un musée et photographiez (sans flash bien sûr) une ou plusieurs œuvres qui vous séduisent. Ne cherchez pas à voir, à découvrir, promenez simplement votre smartphone ou votre appareil de photo sur les œuvres à l’aide d’un zoom (afin de ne pas devoir vous approcher trop près d’elles au risque de faire sonner l’alarme). Shootez à l’aveugle votre œuvre, sans vous soucier de rien d’autre que de capturer des détails çà et là. Ensuite, rentrez chez vous et visualisez votre chasse d’images sur un écran de bonne qualité et de bonne taille. Avec un peu de chance, vous trouverez quelque chose d’inattendu.
Et pour compléter votre compréhension des symboles et des éléments picturaux contenus dans les tableaux, procurez-vous le décodeur d’art sur la boutique en ligne.