Un ange passe !
Je ne peins pas de scène biblique, mais je peins des anges. Toutes mes figures féminines sont des anges, des apparitions. Les gens pensent que c’est de l’érotisme. C’est parfaitement absurde. Ma peinture est essentiellement et profondément religieuse.
Il ne nous prendrait pas un peu pour des c… le Balthus ?! Vous connaissez beaucoup d’anges avec un sexe et les jambes écartées ou dans des positions pour le moins équivoque ?

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Que voit-on réellement ?
Thérèse rêvant représente une jeune fille assise sur une banquette, une jambe repliée, les bras croisés derrière sa tête, les yeux clos, la moue boudeuse. On entrevoit sa culotte. À ses pieds, un chat lape du lait dans une coupelle.
Que dit Balthus à propos de ses tableaux représentant des petites filles ?
En 1934, Balthus assume l’érotisation de ses toiles lorsqu’il écrit à Antoinette de Watteville : « D’ailleurs aujourd’hui l’érotisme dans un art est la seule chose qui fasse encore sursauter les pantins dont je te parlais tout à l’heure. »
En revanche, à la fin de sa vie, il se rétracte : « Je ne peins pas de scène biblique, mais je peins des anges. Toutes mes figures féminines sont des anges, des apparitions. Les gens pensent que c’est de l’érotisme. C’est parfaitement absurde. Ma peinture est essentiellement et profondément religieuse. »
« Je nie une part d’érotisation, c’est la projection du spectateur qui la provoque. »
De nombreux historiens estiment que ce qui fascinait Balthus dans ce motif était l’oubli de soi et l’inaccessibilité qu’il observait chez les adolescentes. Ses représentations de jeunes filles sur le point de devenir adultes illustrent une tension caractéristique entre l’insouciance de l’enfance et la séduction érotique. Quant à leurs poses, souvent qualifiées d’érotiques, Balthus assure : « ce sont des positions d’abandon propres à l’enfance » qui lui sont d’ailleurs « dictées par les nécessités de la composition de [ses] tableaux ». Camille Viéville ajoute : « C’est vraiment l’incarnation d’un moment singulier dans la vie, un moment suspendu, une espèce de basculement entre le monde de l’enfant et le monde de l’âge adulte et je pense que ce moment suspendu est quelque chose qui d’un point de vue métaphysique l’intéressait beaucoup. »
Michiko Kono, commissaire de l’exposition Balthus à la Fondation Beyeler à Riehen en 2019, ajoute que s’il est compréhensible que nous soyons choqués par la vue de cette posture ambiguë, nous devons regarder au-delà de celle-ci et y déceler les grandes qualités de Balthus. Le soin qu’il apporte à la composition et à la représentation avec des draperies, le choix des couleurs et des éléments qui ne sont pas placés par hasard. (Retenons tout de même qu’aucun peintre ne place un élément « par hasard » sur sa toile.)
Michiko Kono nous encourage à nous demander pourquoi cette jeune fille crée le malaise spécifiquement en 2017. Nous demander ce qui en nous s’est cassé pour ne plus admettre qu’une jeune fille veuille peut-être être sexualisée – se demander si justement nous sommes tellement entourés de sexualisation implicite des adolescentes ou enfants, que quand « ça » s’affiche, « ça » devient insupportable. Se dire que justement, c’est ce qu’aurait voulu Balthus, ce qu’il avait anticipé – et que dans sa tombe, il doit bien rigoler.
Balthus aurait donc été un poseur de questions dérangeantes en peignant des anges non érotisés que nous devons regarder au premier degré, sans les interpréter…
Un ange passe… à vous d’en juger !
Tiré de la Notice de salles – Exposition Balthus – Fondation Beyeler – Bâle 2019.