Beau ou seulement joli ?
Comparer les notions de BEAU et de JOLI ? Rien n’est plus subjectif que la définition de ces deux termes. Et le fait de les appliquer à tel ou tel tableau l’est plus encore.
Néanmoins, prêtons-nous à ce qui doit rester un jeu s’il ne veut pas devenir prétentieux ou se constituer en juge universel.
Comprendre la notion de BEAU dans l'art
Comparer les notions de BEAU et de JOLI ? Rien n’est plus subjectif que la définition de ces deux termes. Et le fait de les appliquer à tel ou tel tableau l’est plus encore.
Néanmoins, prêtons-nous à ce qui doit rester un jeu s’il ne veut pas devenir prétentieux ou se constituer en juge universel. Choisir une œuvre d’art semble simple : il suffit pour cela de se référer à ce qui est unanimement reconnu comme tel, et ce, à travers le temps.
En revanche, le choix d’une œuvre simplement jolie nous renvoie à des notions périphériques telles que kitsch. Or, ce dernier n’a-t-il pas été justement élevé au rang d’art par de nombreux artistes contemporains ? Idem pour l’art pompier, l’art des Salons ou encore l’art académique que les historiens ressortent des tiroirs à grand renfort d’expositions et d’ouvrages les mettant en valeur.
Je vais donc opter pour un œuvre, à titre d’étude de la notion, sans savoir par avance si ma conclusion sera que celui-ci est joli ou beau.
J’ai nommé l’œuvre du grand Winston Churchill, plus connu pour ses faits d’armes (politiques, personnels ou guerriers) que pour ses réalisations artistiques.
Tout d’abord, évitons de nous baser sur le prix de ses œuvres qui s’envole, car comme le disait le principal intéressé, « ce n’est pas le prix qui fait la grandeur d’un tableau, mais sa signature. » La sienne étant incontestablement un appât de taille. Nous ne pouvons pas non plus nous reposer sur son jugement, d’une étonnante modestie par ailleurs émanant de lui : « Nous ne pouvons aspirer à des chefs-d’œuvre. Nous pouvons nous contenter d’une petite aventure avec une boîte de peinture. Et pour cela, la seule clef, c’est l’audace. »
Tentons d’évaluer les trois œuvres de Winston Churchill au travers de ce tableau comparatif.
Beauté | Joliesse |
Possède une reconnaissance universelle | Est une préférence esthétique |
Sublime | Agréable, charmant |
Transcendance | Agrément |
Profond | Superficiel |
L’Esprit | Les Sens |
Objectif | Subjectif |
Reconnaissance universelle ?
Pour les philosophes, il y aurait un Beau universel. L’objet qualifié comme tel serait donc reconnu par tout un chacun. Si nous nous en tenons à cette hypothèse et l’appliquons aux œuvres de Churchill, toute personne devrait donc estimer que ses tableaux relèvent du Beau. Il est probable qu’une majorité de spectateurs se rallient à ce jugement. Mais peut-être pour des raisons différentes. Parce qu’elles sont agréables à l’œil, il est fort probable qu’elles soient qualifiées de Belles. Parce qu’elles sont le fruit d’un grand homme. Rien ne prouve encore qu’elles émanent du Beau. Aussi, prenons la deuxième comparaison : sublime ou agréable ?
Sublime ?
Sublime en philosophie esthétique, rappelons-le, ne signifie pas plus que Beau, mais désigne une qualité d’extrême amplitude ou de force, quelque chose qui transcende le Beau. Le Sublime serait lié au sentiment d’inaccessibilité. Or, sommes-nous ici face à une œuvre qui (nous) sublime, qui nous transcende ? Eh bien, pour ma part, deux œuvres répondent peut-être à ce critère. The Goldfish Pool at Chartwell et Trees in the Eastern countries, toutes deux datant de 1932.
Cherchons pourquoi. Churchill a plus de 40 ans quand il commence à peindre et compte plus de 10 ans de pratique autodidacte lorsqu’il réalise ces deux œuvres. Ce n’est donc pas un néophyte. Il y consacre une grande partie de son temps libre et s’y adonne avec passion et fougue. On sait aussi qu’il y projette ses doutes, ses angoisses, qu’elle est cathartique pour soulager ce qu’il appelle son « black dog », sa dépression chronique. De plus, Churchill l’avoue lui-même, il considérait la peinture comme un terrain d’essai pour renforcer des qualités de leadership comme l’audace, l’humilité, la prévoyance, mais également la mémoire.
Transcendance ?
Considérant l’engagement avec lequel Winston se jette sur la peinture et les effets qu’elle produit sur lui, il n’est pas étonnant que nous ressentions la même puissance émotive qu’il a sentie en les réalisant. Celle-ci est-elle suffisante pour nous apporter une transcendance, une élévation supérieure au simple agrément ? La symbolique des eaux troubles de Gold Fish Pool at Chartwell, les jeux d’ombre et de lumière, le point de vue en plongée et l’effet de miroir de la mare vont indéniablement au-delà de quelque chose de décoratif et de plaisant. Au sens propre comme au figuré, il y a une profondeur dans cette œuvre. Ce qui nous amène à la notion suivante.
Profond ?
Ce replat, que les anglophones appellent « Bench », isolé, mais dominant la ville, sans garde-corps, mais large, solide et bosselé retient indéniablement le regard sur Trees in the Eastern countries. On est tenté de s’approcher du vide tout en étant retenu par une sorte de vertige. La composition en L nous entraîne vers l’horizon tout en nous maintenant dans une position statique d’observateur. Les lignes de ce tableau provoquent des sensations intenses dénuées d’artifice.
L’Esprit ?
Les symboles sont utilisés avec subtilité, tels que l’étendue d’eau pour l’insondable ou la pendule dans An Interior at Breccles Hall pour le temps qui se consume ou l’ennui qu’il provoque. Les éléments de composition, comme cette surface plane conduisant le regard, nourrissent une réflexion transcendant le simple plaisir des sens. Il y a quelque chose au-delà du simple plaisir sensoriel, c’est certain.
Objectif ?
Le terme d’objectif n’est pas employé en peinture comme synonyme de but, mais en tant qu’objet, une chose qui ne dépend pas de soi. Il est opposé à subjectif qui a trait au sujet, en l’occurrence le regardeur. Ainsi, pour tester le caractère objectif de l’œuvre de Churchill, il nous suffit d’utiliser quelques outils d’analyse de l’image, quelques clefs de lecture. J’en prendrai une comme exemple, le rythme.
Interrogeons l’œuvre An Interior at Breccles Hall – Norfolk sous cet angle en nous demandant si le peintre a imprimé un rythme et si oui, par quel moyen :
- Par les lignes tout d’abord. Les murs sont composés d’une sorte de grille qui scande le regard, mais sans régularité, ce qui l’empêche de se poser.
- Par des formes rectangulaires, mais irrégulières et éparpillées qui ne permettent pas de repos. Les fauteuils représentés ne donnent pas envie de s’y attarder.
- Par les couleurs qui dialoguent. Les coussins répondent au tapis qui parle aux rideaux, dans le même ton de rouge carmin dynamisant le mouvement des yeux.
- Par le nombre d’objets. Il n’y a pas de symétrie. Trois sièges de guingois s’opposent à une chaise laissée contre le mur. Trois tables dont deux posées l’une à côté de l’autre n’ont rien en commun. Rien ne paraît vraiment dialoguer, aucun meuble ne semble là pour accueillir un visiteur.
- Par la matière qui laisse entrevoir la patte du peintre, touches vives posées et non fondues. Elles apportent elles aussi un rythme quelque peu saccadé à l’ensemble.
L’œil saute d’un élément à un autre, dans un rythme irrégulier et assez vif. Rien ne tient vraiment en place dans cette composition. Rien n’a vraiment sa place. L’impression qui s’en dégage est que je ne suis pas invitée à pénétrer dans cette pièce, que je peux simplement observer.
En conclusion, poser un jugement sur ce qui est beau ou juste joli revient à définir si nous considérons le résultat comme de l’art. Exercice périlleux, mais pas impossible avec quelques clefs de lecture.
Et maintenant, à vous de savoir !
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