Max Reichlich-Portrait d'un fou-1519

L'art, c'est fou !

Qu’évoque le mot FOU pour vous ? Un cinglé ou un imbécile, le Fou du roi ou un bouffon, un malade mental, un passionné ou un fou d’amour, un hérétique ?

À travers l’Histoire, le fou a été considéré tour à tour comme l’une ou l’autre de ces descriptions, parfois plusieurs en même temps.

C’est à travers son imagerie que nous allons reconnaître la définition que la société donne à la folie, sa nature.

Commençons par un petit jeu : observez le tableau ci-dessous, déterminez la nature de la folie que le peintre a voulu représenter et évaluez la période de création de l’œuvre.

Assez fou pour ne pas croire en Dieu

L’origine du personnage du fou remonte non aux textes antiques comme on pourrait s’y attendre, mais à la Bible et en particulier à l’Ancien Testament. Si la civilisation grecque avait envisagé la folie comme une maladie de l’âme guérissable, la religion chrétienne ne voit dans le fou qu’un possédé reniant Dieu. Au Moyen-Âge, il est considéré comme un être qui ignore ou pire méprise le Seigneur. Dans les représentations, on le rencontre ainsi souvent à côté du Diable.

L’Ancien Testament décrit cet hérétique notamment dans le Psaume 52 en ces termes : L’insensé dit en son cœur: Il n’y a point de Dieu! Ils se sont corrompus, ils ont commis des iniquités abominables; il n’en est aucun qui fasse le bien.

Le fou est ainsi souvent représenté dans les livres d’heures et plus particulièrement au début des psaumes, comme ici dans le Psautier de Jean de France, duc de Berry illustré en 1386.

Au Moyen-Âge, le fou n’est donc ni distrayant, ni pourvu de sagesse, mais plutôt un être effrayant et menaçant, un symbole de décadence, un hérétique religieux.

Dans l’art de la fin du Moyen-Âge et de la Renaissance, les fous pullulent : visages grimaçants au sourire moqueur, faisant fi des convenances et se laissant aller au vice, ils nous interpellent et nous tendent un miroir de nous-mêmes. Sommes-nous comme eux, sommes-nous pécheurs ? Jheronimus Bosch, dans son œuvre La Nef des fous, nous fait passer de l’autre côté du miroir en nous montrant la folie sous différentes formes. Ici, effectivement, seul le personnage vêtu d’un costume verdâtre est clairement identifiable comme fou. Mais tous décrivent par leurs comportements des êtres dépourvus de sagesse, cédant à la tentation et plongeant dans la folie. Il pourrait s’agir d’une œuvre moralisatrice dénonçant la faiblesse humaine devant la gourmandise ou plus spécifiquement la gloutonnerie.

Observons les détails de cette œuvre pour s’en convaincre.

Jheronimus_Bosch - La Nef des fous

Nous y voyons tout d’abord un bateau à la dérive, métaphore de la folie et truffé de symboles relatifs aux plaisirs de la bonne chère. Une chouette est tapie dans un coin. Symbole de la fourberie, de l’aveuglement et du mensonge, elle incarne Satan à l’instar du serpent. La nourriture est partout et dans des endroits incongrus : un poulet suspendu au haut du mât, une galette à portée de bouche, un homme vomissant d’avoir abusé de bonnes choses, un gobelet et des fruits rouges, une religieuse brandissant un pichet. Ces images sont celles qui courent dans l’esprit du glouton.

Au premier plan, une nonne et un moine ivres, signe de débauche, s’adonnent à la luxure ; un luth posé à côté d’eux l’indique. Un homme tente de décrocher le poulet pour s’en gaver tandis qu’un autre gesticule avec une bouteille cachée dans son dos. Et pour terminer, un nageur nu réclame à boire. Une vision d’enfer… ou celle d’un fou, n’est-ce pas ?

Elle court, elle court la maladie d'amour...

Dans un même temps, toujours au Moyen-Âge, un autre fou nous est donné : le Fou d’amour, celui qui se laisse aller à la passion, laquelle l’entraîne inexorablement vers la déchéance. En ces temps, l’amour se doit d’être courtois. Dès le XIIsiècle en effet, la courtoisie est décrite comme un modèle idéal de la société qui promeut aussi bien le sens de l’honneur, le respect de la parole donnée et du serment que la noblesse des sentiments. Elle est donc à elle seule une conception tant de l’amour que de la vie plus généralement. La passion est en revanche décrite comme un avilissement qui tourne au tragique, à la mélancolie, à la perte de ses moyens, en d’autres termes à la folie. Le fou d’amour peut également être tenté par l’un des péchés capitaux, la luxure.

Les écrivains se saisirent de ce qui est considéré comme une perdition et en firent des récits épiques. Les protagonistes sont décrits comme étant aveuglés par la force de l’amour et par là même, dépassant les conventions sociales, voire préférant la mort à la vie sans l’objet de leur passion. Le récit de Tristan et Yseult, maintes fois peint, témoigne des dangers de ce qui est considéré comme une maladie de l’âme.

Quel bouffon !

Maitre de 1537 – Portrait de fou regardant entre ses doigts - 1548

Dès la Renaissance, on associait le fou soit aux malades mentaux soit à un être grotesque, qui nous interpelle, fait le pitre ou se moque, voire les deux. Mais dans le fond, qui étaient-ils : des personnes souffrant de déficience mentale, de handicap physique ou encore des malins ?

Le fou de la Renaissance existait en différentes versions : le sot, un simple d’esprit qu’on allait chercher dans les campagnes jeune et qu’on gardait toute sa vie, comme un animal de compagnie. On « adoptait » aussi des nains, des bossus, des microcéphales, parfois des géants pour distraire rois et princes. Bien traités et jouissant d’une certaine aura, ils pouvaient être représentés sur les tableaux de famille des nobles, mais souvent, il faut bien en convenir, comme faire-valoir. Et puis, il y avait le bouffon. Lui était tout sauf un simple d’esprit. Multipliant les plaisanteries ingénieuses, il était avant tout un comédien préposé à la moquerie pour agrémenter la vie du souverain. On distinguait d’ailleurs le fou « naturel » atteint d’une maladie mentale du fou « artificiel » (c’est ainsi qu’on le nommait) recruté pour l’agrément. Au XVIe siècle, le nombre de cette deuxième catégorie augmenta considérablement. Ils furent alors considérés comme des professionnels et formés pour le job. À la cour d’Angleterre, au temps des Tudor, l’un d’eux acquit même un statut au sein de la haute société. Et dans tous les cas, le bouffon était jovial, spirituel, avec un air de naïveté et une fausse bonhomie.

Le Fou du roi joue donc deux rôles complémentaires dont le premier nous est expliqué par Érasme. Les plus grands rois les goûtèrent si fort que plus d’un, sans eux, ne saurait se mettre à table ou faire un pas, ni se passe d’eux plus d’une heure. Ils prisent les fous plus que les sages austères, qu’ils ont l’habitude d’entretenir par ostentation. Les bouffons eux procurent ce que les princes rechercheront partout et à tout prix: l’amusement, le sourire, l’éclat de rire, le plaisir.

Son second rôle est celui d’un révélateur, d’un miroir grotesque. En se moquant, il sert d’exutoire et véhicule la contestation sous une apparence débonnaire et joyeuse. Mais de qui se moque-t-il justement ? De lui-même, des courtisans, de son maître ? C’est là toute la difficulté du métier, une corde raide entre le trop et le trop peu.

Comment le distinguait-on ? À partir du XIIe siècle, il apparaît souvent en haillons et porte une sorte de soufflet dont son nom Fol est dérivé. Cet étrange bonnet sert à démontrer qu’il n’a rien dans la tête. Il peut être surmonté d’oreilles d’âne, signe évident du crétin ou d’une crête de coq démontrant son impulsivité et son désir sexuel indompté. Progressivement, cet attribut sera orné de clochettes rappelant qu’il jouit de la protection du roi. Il tient aussi un bâton pour se défendre qui deviendra la marotte, une sorte de sceptre de dérision. Celle-ci, symbole de folie, est surmontée de l’effigie de celui qui le tient. Les haillons se transforment progressivement en un costume rouge et vert. À partir du XVe siècle, la marotte, le bonnet et finalement le costume deviennent les signes distinctifs du fou du roi. Ce dernier est fait de bandes rouges et vertes, couleurs hautement symboliques : le rouge évoque la passion, mais aussi le Diable tandis que le vert, ton qu’on avait du mal à stabiliser, symbolisait le fou échappant à tout contrôle.

Mais c’est un job à risques. Tout bouffon prend en effet celui que le pouvoir, lassé de ses piques, se pique de colère et le chasse, nous explique Claude Pomerleau. Si le Fou du roi risque le licenciement, en revanche, on n’attentait pas à sa vie, c’eut été lui accorder trop d’importance et donner un semblant de vérité à ses persiflages.

Et pour le peuple, il restera toujours l’incarnation de l’éloignement de Dieu et un instrument du Diable dans la réalité.

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Gustave Courbet Portrait de l’Artiste – dit le Fou de peur – 1844

À vous de voir la folie !

Jusqu’à la Renaissance, le fou était donc un bouffon libre ou insouciant qui, par ses joyeuses divagations (le fou du village) ou ses extravagances (le Fou du roi), venait questionner la raison commune. Goya, Géricault, Delacroix ou Courbet s’emparèrent du sujet pour associer la figure de l’aliéné à celle de l’artiste, mélancolique, atteint par la folie de la création dans une vision toute romantique.

Ils sont tous fous ces artistes !

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