Le Serment du Jeu de Paume
Vivez l’aube de la Révolution française en un tableau !
Nous sommes le 20 juin 1789. Paris est en ébullition. Quelques jours plus tôt, les députés du tiers état rejoints par les membres du clergé se sont constitués en Assemblée nationale.
Louis XVI, terrorisé par l’effervescence qu’il pressent (peut-être) funeste, fait fermer la salle de réunion ce 20 au matin. Mais ceux qui deviendront des conjurés ne se laissent pas impressionnés, recherchant un autre lieu de réunion, ils décident d’occuper la salle du Jeu de Paume.
La salle du Jeu de Paume, kesako ?
Immense, elle mesure plus de 30 mètres par 12, des murs noirs, un plafond peint en bleu orné de fleurs de lys d’or, un soleil sculpté au-dessus des portes et au beau milieu…un filet : c’était tout simplement le court de tennis de Louis XIV !
Mais il faut bien cela pour accueillir les 630 députés qui, dans une sublime unanimité, vont prêter serment, celui de ne jamais se séparer et de se rassembler partout où les circonstances l’exigeront jusqu’à ce que la Constitution soit établie et affermie. Par cet acte, ils vont donner corps à la nation. La Révolution est en marche.
Un tableau pour mémoire
La mémoire collective exige des témoins de cette union de la nation. Ce sera Jacques-Louis David, pourtant absent ce jour-là, qui sera désigné pour réaliser un support à la mémoire de ce moment historique. Et on voit grand : un tableau de dix mètres par six est commandé au maître en juin 1790, assorti d’un budget de 72’000 livres.
David retourne sa veste
David, pourtant héraut du retour à l’antique, retourne surtout sa veste…ou plutôt ses pinceaux…et rejette, momentanément au moins, sa source d’inspiration favorite pour soutenir ses contemporains. Le peintre s’explique : Nous ne serons plus obligés d’aller chercher dans l’histoire des peuples anciens de quoi exercer nos pinceaux. Non, je n’aurai pas besoin d’invoquer les dieux de la fable pour échauffer mon génie. Nation française, c’est ta gloire que je veux propager.
David, le protégé des princes de sang et de l’aristocratie devient peintre révolutionnaire, renonçant à l’allégorie pour montrer l’Histoire en marche dans toute son actualité.
Une vision héroïque
Le sujet est tout choisi. Tout concourt à une œuvre grandiloquente. Il a fait chaud, en ce 20 juin, lourd même, un temps d’orage, métaphore de la colère qui gronde dans le peuple. Le vent qui fait voler les chapeaux emporte aussi le despotisme. On dit que ce jour-là, un éclair prémonitoire serait tombé sur le faîte de la chapelle royale. À l’intérieur, la fraternité vire à l’expressivité lyrique. On s’embrasse, on se congratule, l’exaltation emporte les esprits. Des familles sont venues en masse, montrer à leurs enfants l’histoire en train de se faire.
L’enthousiasme initial s’enlise
Mais très vite, l’enthousiasme qui avait porté le projet se dilue devant les problèmes politiques et financiers : la souscription n’a recueilli que 10% de la somme attendue. Plusieurs députés ont été guillotinés. Pourtant, David ne se démonte pas. Il s’est mis au travail d’ébauche avec acharnement. Il s’y consacre pendant plus de deux ans. Mais en 1793, la réalité politique ne correspond plus du tout au contexte du tableau. David abandonne. Ce tableau ne sera jamais achevé. Il nous reste plusieurs études et ébauches de ce projet et c’est la plus aboutie que nous allons analyser picturalement.
Le sujet choisi
L’artiste a choisi de représenter le moment précis du serment, lequel ?
Des chaises et des tables semblent avoir été installées à la hâte. Au centre, le président Bailly prête serment dans un geste reconnaissable de tous. L’histoire raconte qu’il dit alors : Partout où ses membres sont réunis, là est l’Assemblée nationale. C’est une foule de 600 personnes, galvanisée par le discours, expressive, lyrique. Au centre, on voit aussi un moine chartreux fraterniser avec un pasteur protestant, symbole de la tolérance religieuse.
Pourtant, l’assemblée n’est pas compacte, elle laisse voir les participants dans toute leur individualité. Comment le peintre s’y est-il pris ?
Des dimensions pour la grandiloquence
Cette étude assez complète mesure 65 centimètres par 88 ; le tableau achevé devait, quant à lui, exposer son sujet sur plus de soixante mètres carrés. Pour rendre compte de l’impression, il faut s’imaginer les personnages du premier plan en grandeur nature, le président culminant à 2 mètres cinquante et un espace vide au-dessus de lui de plus de 3 mètres. Grandiose, la taille de l’œuvre achevée aurait été…édifiante.
Le vide parle
David a choisi de remplir entièrement toute la partie basse de personnages à l’exception de l’avant-plan. Cette avant-scène, celle sur laquelle nous nous tenons, nous spectateurs, est vide. David ne nous noie pas au milieu de la foule. Ce no man’s land nous permet, certes, de pénétrer dans le tableau mais aussi de nous tenir à distance. Il nous place en fait dans le camp de l’absent, le roi. Habilement, le peintre nous invite à nous convertir à la cause des conjurés en plaçant le président Bailly, dos tourné à la foule des députés mais face à nous. Il semble ainsi s’adresser à nous personnellement, nous mettant en demeure de sa main levée.
Une autre zone vide attire également le regardeur du spectateur, le fond de la salle et ses murs latéraux. Cette composition cadre la foule, nous la rendant plus compacte, plus dense et plus agitée aussi.
Une foule individualisée
Chaque personnage est individualisé. On lit sur les visages la passion, l’audace ou l’exaltation mais aussi le doute, la crainte voire le repli, expressions exacerbant les émotions du regardeur. L’impression d’agitation est rendue par des postures différenciées. Les bras des protagonistes orientent la lecture vers l’orateur et rythment la composition. Et puis, les regards qui se croisent dans toutes les directions, jouent avec celui du spectateur qui circule de l’un à l’autre.
La lumière éclaire…
La lumière, intense et vibrante, appuie l’effet d’agitation. Elle se concentre particulièrement au niveau des visages et des mains des personnages du premier plan. Venant du côté gauche, tandis que le groupe agglutiné à l’étage supérieur reste dans l’ombre, c’est également cette lumière qui dirige le regard du spectateur vers l’avant de la scène, le stigmatisant.
Le patriotisme des couleurs
Si la foule est généralement représentée dans des tons sourds, quelques personnages émergent par les couleurs de leurs vêtements…. Et oh, surprise bleu, blanc, rouge. Vive la République !
À vous de refaire l'Histoire !
Choisissez une peinture d’Histoire dont le sujet peut être un fait d’armes, un évènement politique ou un manifeste social et effectuez quelques recherches sur le Web. Déterminez :
- Où se trouve le tableau et pourquoi ?
- Y a-t-il un commanditaire du tableau et si oui, quelle était la destination du tableau ?
- Quel est le propos du tableau, que dit-il de l’épisode historique ?
Et pour compléter vos hypothèses et en savoir plus sur la lecture picturale, procurez-vous le décodeur d’art sur www.art-toi.com. ART-TOI et vois plus et mieux !