Rechercher
Fermer ce champ de recherche.

Analyse du tableau : « La Dentellière » de Vermeer

Image de Catherine Hahn
Catherine Hahn

Auteure du livre : La Peinture, enfin j'y vois quelque chose !

Vermeer fait dans la dentelle !

Vermeer - La Dentellière - entre 1669 et 1670

Analyser un tableau ?!!! Je vous entends déjà me rétorquer :
« Une œuvre ne s’analyse pas, elle se vit. L’art n’est pas une science, l’analyser enlève toute émotion…. ». On va voir ça !

On a pris l’habitude d’opposer l’art aux sciences, de penser que l’expérience esthétique relève d’une pensée particulière, d’une sensibilité instinctive. Ce préjugé annihile tout élan de méthode et d’analyse, de rationalité et de pragmatisme. Pourtant, il est bien dommage de croire que l’analyse tue le plaisir esthétique, bloque la spontanéité de la réception du tableau. Si elle prend du temps et ne peut se faire spontanément, sa pratique peut, a posteriori, attiser le plaisir parce que l’analyse aiguise le sens de l’observation. Georges-Henri Rivière ne prétendait-il pas que « Voir, c’est comprendre » ? Ainsi, le regard éduqué par les connaissances et l’expérience sera plus à même de saisir des informations complètes. Enfin, que l’ignorance soit une caution de plaisir reste à démontrer !

Alors oui, je vous propose d’analyser aujourd’hui le tableau de Vermeer La Dentellière. Vous allez voir… c’est enrichissant, ludique et simple. Vraiment ?
Enrichissant ? Oui, car un tableau, c’est avant tout un dialogue. Or, en l’analysant, nous entrons en communication intime avec lui.
Ludique ? Oui, car dans le fil rouge que je vous propose, nous allons lui poser des questions et, vous verrez, il va nous répondre !
Simple ? Oui, tout le monde réussit à ce jeu-là car nous nous appuierons sur des informations facilement accessibles sur le Web et sur notre réflexion en suivant un fil conducteur. Quiconque, même sans formation artistique ou en histoire de l’art réussit à « y voir plus et mieux ». Allons-y.

À vos émotions !

Mais pour abonder dans votre sens, commençons par notre émotion. C’est le moment d’être subjectif-ve. « Plantez-vous » devant le tableau ou sa reproduction et laissez aller vos sensations et accueillez les images qui viennent à votre esprit. Une fois que l’œuvre sera bien imprégné en vous, demandez-vous :

  • Quel effet ce tableau produit-il sur moi ?
  • Que signifie cette œuvre d’art pour moi, quels souvenirs appelle-t-elle ?
  • Pourquoi cette signification particulièrement ?

Partons maintenant à la découverte de cette œuvre. Suivez-moi.

Documenter le tableau

Commençons par rechercher les informations qui répondent aux questions ci-dessous. Cette phase est utile pour appréhender et contextualiser le tableau avant d’en décortiquer chaque élément.

1- Recueillir des informations pour la situer dans un contexte

C’est le genre d’informations qu’on peut trouver sur le cartel du tableau, sur internet, dans les livres et catalogues d’exposition ou encore dans notre mémoire.
Commençons notre exercice en répondant aux questions suivantes :

  • Le titre de l’œuvre : Quel indice le titre nous donne-t-il ?
  • Le genre pictural : Quel est le genre pictural et quel est son message ?
  • Les dimensions de l’œuvre : Quels sont les dimensions de l’œuvre ? Quel est l’impact des dimensions du tableau sur moi ?
    Il n’est pas nécessaire de répondre à toutes ces questions. On ne notera que ce qui permet la compréhension de l’œuvre.

Application
Nous allons prendre un exemple qui nous suivra tout au long de l’exercice : La Dentellière peinte par Vermeer de Delft entre 1669 et 1670.
Son titre tout d’abord : La Dentellière. Pour beaucoup d’entre nous, il pourrait s’agir d’un métier ; une couturière, une tapissière. Beaucoup de critiques ont vu dans ce tableau la représentation d’un artisan ou ici d’une artisane. Or, en observant les détails, on s’aperçoit que cette jeune personne est vêtue d’un corsage taillé dans une belle étoffe, que sa coiffure est soignée et que son ouvrage est délicat. Ces éléments nous renseignent sur son appartenance vraisemblablement noble. Il s’agit donc d’une jeune femme de bonne famille, occupée à une activité qui sied à son rang.


Cette première information nous questionne sur le genre pictural. En effet, certains ont voulu y voir une allégorie de la vertu. Je place une totale confiance dans les propos tenus par le très regretté Daniel Arasse quand il dit : « La peinture de Vermeer contrevient l’idée toute faite qu’un tableau doit évoquer une histoire et qu’elle doit véhiculer un message précis et compris des spectateurs ». Il n’y a en effet aucun détail inutile et très peu d’objets. Tous semblent avoir leur place dans le sujet du tableau. Ainsi donc, j’en conclus que cette œuvre est purement descriptive et que son mystère est ailleurs… dans le génie de Vermeer à utiliser les codes picturaux. Continuons.


Analysons à présent les dimensions du tableau. Celui-ci présente un format presque carré et très petit puisqu’il ne mesure que 24 centimètres par 21. En revanche, le cadre est surdimensionné par rapport au tableau puisqu’il mesure 65 centimètres par 60. L’effet est amplifié par un triple encadrement dont les baguettes sont de plus en plus épaisses, le plus proche de l’œuvre étant en relief. On plonge littéralement dans l’œuvre comme dans un entonnoir, ces éléments engendrant un léger sentiment de vertige. Une peinture de grandes dimensions se regardent de loin tandis qu’on doit se rapprocher d’une petite œuvre pour en voir les détails. Or, dans le cas de La Dentellière, ce rapport est plus complexe. De loin, la peinture semble présenter une unité alors qu’en s’approchant, la vision se trouble, laissant apparaitre des zones nettes et d’autres floues qui ne répondent à aucune logique de proximité ou d’éloignement. Par exemple, les fils des fuseaux sont traités avec une grande netteté alors que sur le même plan, les mains paraissent floues.
Ces dimensions nous obligent donc à entrer en intimité avec l’œuvre et pourtant nous serons rapidement remis à notre place. Poursuivons notre analyse avec la composition.

Vermeer – La Dentellière – Cadre de l’œuvre conservée au Louvre

Analyser le tableau

Maintenant, analysons le tableau en détaillant quelques éléments picturaux. Nous pourrons ainsi identifier leur rôle et découvrir leur impact sur la compréhension du tableau.

1- Analyser la composition

Cet exercice nous permettra de comprendre ce que le tableau raconte, comment il nous parle. Pour commencer, observons la composition et interrogeons l’œuvre à l’aide de ces questions :

  • Comment l’espace est-il occupé ?
  • Quelle est l’occupation des différents plans ?
  • Y a-t-il des zones vides et pleines ?

Application
Mais avant cette analyse, je propose tout d’abord ici aussi d’écouter nos émotions. Face à cette œuvre, notre réflexe est de nous rapprocher. Cette œuvre réclame une attention soutenue. Les dimensions nous y invitent, le cadre aussi nous l’avons constaté ainsi que pour en distinguer les détails tels que les fils, aussi fins que des cheveux. Et c’est précisément là que nous nous trouvons au cœur de l’action. Par le regard de la jeune fille sur son ouvrage, l’artiste guide notre regard comme si nous nous penchions nous-mêmes sur l’ouvrage. Mais étrangement, nous n’y participons pas. Les objets représentés dans le premier plan nous retiennent. Le coussin, le livre et la bordure de la table à ouvrages font obstacle. Les mains de la jeune fille nous attirent mais son bras droit coupé par une zone sombre arrête notre élan. Et puis, la dentellière nous ignore, se laissant absorber par son activité, sa posture ramassée accentuant la fermeture de la composition. L’arrière-plan d’une couleur neutre et l’absence de fenêtre ou de porte enferrent notre concentration sur le sujet.

Détail des mains de la Dentellière

2- Identifier les points d'accroche, d'intérêt

La plupart des œuvres d’art contiennent un ou plusieurs points conçus pour attirer l’attention et le regard des spectateurs. Dans un portrait, cela pourrait être le visage du sujet. Essayons d’identifier les parties du travail qui sont mises en avant, les éléments qui nous sautent aux yeux immédiatement ou qui attirent notre regard en permanence.
Demandons-nous pourquoi notre œil est attiré vers cet élément. Par exemple, si nous nous surprenons à fixer un personnage ou un élément, est-ce parce qu’il est plus grand que les autres ? Est-il plus proche de nous ? Est-il mieux éclairé ?

Application
Observons la perspective à présent et plus particulièrement la « mise au point ». L’artiste n’a choisi de rendre net qu’un seul élément : les fils ténus entre les mains de la jeune fille, tout le reste est très légèrement flou. Avec nos yeux « modernes », habitués à la photographie, ces effets de focus différencié sont naturels. Pourtant, ils restent troublants. En s’approchant de l’œuvre, notre regard se perd dans ce flouté et s’accroche aux mains ou plus exactement aux fils. Pourtant, lorsque Vermeer commence sa carrière, les lois de la perspective sont connues depuis longtemps. Or, il en fait fi dans sa Dentellière (comme dans toutes ses œuvres d’ailleurs) et ce pour une bonne raison : concentrer notre attention sur son sujet soit le mouvement lent et précis que requiert la fabrication de dentelle.

Les points d'accroche !

3- Analyser les formes et les lignes

Les formes jouent un rôle important tant dans l’art abstrait que dans l’art figuratif. Il s’agit tout d’abord de les observer avant de les détailler. Nous allons à nouveau interroger l’œuvre, cette fois-ci à l’aide de ces questions :

  • Le tableau est-il dominé par un type de forme en particulier ou une variété de formes différentes ?
  • Comment s’effectue le passage de l’une à l’autre ?
  • À quoi servent les lignes ?

Application
Analysons maintenant les formes et les lignes de notre tableau. Si vous clignez des yeux, vous verrez des formes se détacher clairement. En effet, Vermeer a choisi des contrastes marqués et un jeu avec les lignes. L’arrondi de la coiffure joue avec la raie très nette de la frange. La rigueur du chignon très serré contraste avec la rondeur des formes des cheveux. La mèche de droite débute par un carré compact et sombre pour se terminer par une boucle ondulante. Le décor participe aussi à cette dichotomie de formes ; le moelleux du coussin révèle la rigueur du bois de la table à ouvrages et les fils s’opposent à la géométrie des éléments. On trouve aussi bon nombre de correspondances de formes dans cette œuvre ; le nez et la pointe du col, l’auriculaire de la main droite avec le pommeau de la table, le pli du tapis et celui de la jupe de la dentellière notamment.

Détail du visage de la Dentellière

4- Analyser le rôle de la lumière et des ombres

La lumière dans une œuvre d’art peut être chaude ou froide, forte ou faible, naturelle ou artificielle. Prenons le temps d’analyser le rôle de la lumière et des ombres dans l’œuvre :

  • La lumière est-elle artificielle ou naturelle
  • D’où vient-elle ?
  • Quels éléments sont éclairés ?
  • Y a-t-il des ombres et des contrastes ?

Application
La lumière vient de la droite mais sa source n’est pas visible. Naturelle et veloutée, elle éclaire le visage de la jeune fille, son corsage, la partie avant de la table à ouvrages, le dessus du livre, le pli du tapis et les fils. L’éclairage isole ainsi le personnage et focalise notre attention sur lui, sur cet univers clos que rien ne vient troubler. La lumière nous met en intimité distante avec la dentellière. Si on observe attentivement les éléments mis en lumière, on s’aperçoit que Vermeer a légèrement « triché » avec celle-ci : le corsage est presque totalement exposé alors que seule la moitié du visage l’est, pourtant tous les deux sont positionnés dans un angle similaire. Ce subterfuge a certainement été utilisé par Vermeer pour éviter des effets trop prononcés de clair-obscur et pour équilibrer harmonieusement les formes de la composition. L’éclairage sert bien sûr à la mise en valeur des éléments mais le peintre a semblé privilégier l’atmosphère délicate aux détriments de la réalité. Daniel Arasse nous dit d’ailleurs que Vermeer n’est pas un peintre « réaliste », il arrange donc la « vérité » pour asseoir son propos.

En ce qui concerne les ombres, on est surtout frappé par leur couleur, bleuâtre. Les spécialistes s’accordent à dire que Vermeer avait certainement constaté qu’une ombre n’est jamais noire et comprend l’influence des filtres de la lumière sur les objets. Or, les fenêtres de cette époque étaient composées de verre d’un léger ton de jaune qui produisait une coloration froide sur les sujets éclairés et sur leurs ombres. Pour rendre cet effet, il a probablement mélangé le très cher et riche lapis lazuli à la couleur « locale » de la représentation. Pour terminer, le glacis soit la superposition de couches très fines de peinture permettait de rendre les tons plus intenses, plus contrastés et les nimber de mystère tout à la fois.

Détail du visage de la Dentellière

5- Et maintenant à vous de poursuivre votre promenade dans l'œuvre

Nous avons étudié ensemble quelques éléments picturaux. Les peintres ont recours à bon nombre d’autres tels que la couleur, l’équilibre, le mouvement ou les proportions. Si vous le désirez, vous pourrez poursuivre votre analyse en interrogeant ce tableau ou toute autre œuvre à l’aide de ces questions :
  • La couleur : Quelles sont les couleurs principales ? Y a-t-il des correspondances (clair-foncé, chaud-froid, complémentaire-primaire) ? Est-ce que les couleurs s’opposent ou sont-elles plutôt en harmonie ?
  • Le traitement plastique : Comment se présentent la matière et la touche, ? La gestualité du peintre est-elle apparente ?
  • L’équilibre : comment les couleurs, les formes et les textures de la pièce travaillent-elles ensemble ? Créent-elles un effet équilibré et harmonieux ou un déséquilibre ?
  • Le contraste : l’œuvre utilise-t-elle des couleurs, des textures ou des lumières qui créent un contraste ? Il est aussi possible d’en trouver dans l’utilisation de différentes formes et contours, par exemple des lignes brisées ou courbées ou des formes géométriques ou naturelles.
  • Le mouvement : comment la pièce crée-t-elle du mouvement ? Notre œil est-il attiré vers la composition d’une certaine manière ?
  • Les proportions : les tailles des différents éléments de la pièce nous apparaissent-elles comme on peut s’y attendre ou créent-elles une surprise ? Par exemple, si le tableau présente un groupe de personnes, y en a-t-il qui semblent plus grands ou plus petits qu’ils ne le seraient dans la vraie vie ?

Vous pourrez aussi tenter d’identifier quelques thèmes clés et réfléchir à la manière dont l’artiste utilise les éléments de la conception (la couleur, la lumière, l’espace, la forme et la ligne) pour exprimer ces thèmes. Cela pourrait inclure les choses suivantes : l’utilisation de la couleur pour donner une certaine atmosphère ou signification à l’œuvre (par exemple les œuvres de Picasso de la période bleue), les images et les motifs qui se répètent dans une œuvre ou un groupe d’œuvres (par exemple la répétition de plantes et de fleurs dans les peintures de Frida Kahlo).

Et pour compléter votre analyse des œuvres, procurez-vous la méthode LA PEINTURE J’Y VOIS ENFIN QUELQUE CHOSE sur www.art-toi.com, directement sur la boutique.

Art-toi, je vois plus et mieux !

Partager l’article

Table des matières

Découvrir les autres articles

2

Questionnez votre tableau

2

Questionnez votre tableau

2

Questionnez votre tableau