Auteure du livre : La Peinture, enfin j'y vois quelque chose !
Vous voulez vraiment vous lancer dans une analyse d’œuvre, ce truc fastidieux ? Je vous taquine, vous avez bien raison de vouloir comprendre l’art plus en profondeur. Et avec l’aide des quelques clefs de lecture et d’un fil rouge, vous verrez combien c’est enrichissant et ludique tout en étant simple.
Enrichissant ? Oui, car un tableau, c’est avant tout un dialogue. Or, en l’analysant, nous entrons en communication intime avec lui.
Ludique ? Oui, car dans le fil rouge que je vous propose, nous allons lui poser des questions et, vous verrez, il va nous répondre !
Simple ? Oui, tout le monde réussit à ce jeu-là car nous nous appuierons sur des informations facilement accessibles sur le Web et sur notre réflexion en suivant un fil conducteur. Quiconque, même sans formation artistique ou en histoire de l’art réussit à « y voir plus et mieux ». Allons-y.
Commençons par rechercher les informations qui répondent aux questions ci-dessous. Cette phase est utile pour appréhender et contextualiser le tableau avant d’en décortiquer chaque élément
C’est le genre d’informations qu’on peut trouver sur le cartel du tableau, sur internet ou dans les livres et catalogues d’exposition ou encore dans notre mémoire.
Commençons notre exercice en répondant aux questions suivantes :
Il n’est pas nécessaire de répondre à toutes ces questions. On ne notera que ce qui permet la compréhension de l’œuvre.
Nous allons prendre un exemple qui nous suivra tout au long de l’exercice : Michelangelo Merisi, dit Caravage – Narcisse
Toutes les informations qui m’ont permises de rédiger cette analyse d’œuvres sont issues de sites Web grand public tels que Wikipédia.
Le titre Narcisse fait bien sûr référence au mythe du même nom qui raconte l’histoire d’un jeune homme découvrant le reflet de son visage dans l’eau, en tombe amoureux fou jusqu’à se laisser mourir. On est tenté de voir du narcissisme en première lecture du récit d’Ovide, pourtant en observant l’œuvre du Caravage en détail (ce que nous ferons un peu plus loin), il pourrait aussi s’agir du passage de l’enfance à l’âge adulte. Le peintre aurait (de)peint ici un tout jeune homme en prise avec la conscience du monde qui l’entoure et de sa propre évolution. Lorsqu’il peint ce tableau en 1598-99, Caravage a un peu plus de 25 ans. Il est donc lui aussi au sortir de l’enfance. Sa vie est encore relativement sereine à cette époque, d’où peut-être cette douceur qui émane tant de l’expression du personnage que des formes arrondies. Il n’en sera plus de même dans la deuxième période de sa vie pendant laquelle Caravage développera un style plus contrasté et expressif tant dans la représentation que dans les éléments picturaux.
L’intitulé de l’œuvre modifie potentiellement notre interprétation du genre pictural, un simple prénom faisant glisser un tableau d’histoire mythologique vers le portrait d’un jeune garçon prénommé Narcisse
La destination de l’œuvre et le commanditaire ne nous sont pas connus mais les dimensions plutôt réduites (114 x 94 cm) nous laissent penser qu’il s’agit d’une commande privée. Décoration d’un salon, objet de méditation dans un cabinet privé ou encore tableau d’ornement d’une pièce de réception, on peut tout imaginer. Les commanditaires du XVIe et du XVIIe siècle étant souvent érudits, celui de cette œuvre en reconnaissait très probablement la signification et tout au moins le mythe de Narcisse.
Choisissez une œuvre qui vous plaise et à laquelle vous pouvez accéder facilement, de préférence « en vrai » (musée, lieu public, collection personnelle). Maintenant, allez recueillir toutes les informations de base du tableau qui vous permettront de bien le situer.
Maintenant, analysons le tableau en le décrivant. Cet exercice pourrait vous paraitre fastidieux ou inutile, il est pourtant déterminant pour aiguiser notre observation et donc notre compréhension de l’oeuvre. En détaillant chaque élément pictural, nous pourrons identifier son rôle et découvrir son impact sur la compréhension du tableau.
Il s’agit de décrire objectivement ce que nous voyons tout en étant le plus précis possible. Le but est d’observer le tableau et de nous l’approprier. Pour nous aider, demandons-nous ce que nous voyons et décrivons l’œuvre comme si nous le faisons à quelqu’un qui ne peut pas la voir.
Reprenons notre exemple et décrivons le tableau de Caravage – Narcisse
Il s’agit du portrait en pied d’un jeune homme. Il est à 4 pattes, dans une position presque enfantine. Son visage de profil et ses cheveux blonds sont tous deux aussi les marques de l’enfance. Narcisse porte des vêtements de son époque, ceux d’un adulte qui contrastent avec les rondeurs de son corps d’enfant. Une mèche rebelle bouclé et de petits cheveux sur la nuque apportent de la douceur à ce visage. En revanche, le regard concentré sur la surface de l’eau qui renvoie son reflet avec ces lèvres entrouvertes dégagent une grande sensualité, traduction du sentiment amoureux que Narcisse ressent à la vue de sa propre image. On dirait qu’il veut s’approcher pour (s’)embrasser, un désir d’adulte. Le fond ne présente aucun décor. Seuls le personnage et son reflet sont représentés, apportant un contraste très fort entre le fond et le sujet. Alors que le personnage ne nous regarde pas, nous sommes néanmoins aspirés par son comportement. On se surprendrait même à esquisser un baiser.
Vous allez maintenant faire de même avec votre tableau. Soyez précis-e et objectif-ve.
Entrons maintenant dans le tableau en observant de façon détaillée les différents éléments picturaux. Cet exercice nous permettra de comprendre ce que le tableau raconte, comment il nous parle. Pour commencer, observons la composition, concentrons-nous sur des éléments comme l’espace, la profondeur et la perspective, la place des éléments, etc. Ensuite, nous pourrons interroger l’œuvre à l’aide de ces questions :
Reprenons notre exemple et décrivons la composition de l’œuvre de Caravage – Narcisse
C’est un gros plan sur le personnage que nous voyons en son entier, le corps ramassé sur lui-même. De même, nous voyons son reflet. L’un et l’autre occupent toute la surface peinte du tableau. Les bras écartés semblant prendre possession de l’espace. Ceux-ci forment un cadre dans le cadre qui structurent la composition. Le reflet n’étant pas déformé et parfaitement symétrique au corps du personnage, l’eau et la terre nous apparaissent sans perspective, sur un seul plan. La profondeur est donnée tant par les zones d’ombre et de lumière que par le modelé des vêtements. Le point de vue est frontal. L’accrochage choisi au Centre Pompidou-Metz pour l’exposition Lacan, l’exposition m’a donné l’impression de me trouver dans la hauteur du visage du personnage, moi aussi à genou devant le plan d’eau.
Vous allez maintenant faire de même avec votre tableau. Détaillez les éléments à l’aide des questions ci-dessus et tirez-en vos propres conclusions.
Les formes jouent un rôle important tant dans l’art abstrait que dans l’art figuratif. Il s’agit tout d’abord de les observer avant de les détailler. Nous allons à nouveau interroger l’œuvre à l’aide de ces questions :
Dans notre exemple, nous allons détailler les formes à présent dans le but de comprendre comment l’artiste les a agencées et pour quel impact.
Deux formes géométriques se dégagent de ce tableau : le carré et l’ovale. Les avant-bras et le corps du personnage fermés par son reflet, décrivent un carré. Cette forme est celle de la stabilité, ici presque hypnotique. Inscrite dans un tableau légèrement rectangulaire, le sujet parait encore plus tassé, sensation amplifiée par la position accroupie. La main droite du personnage (que nous voyons à gauche du tableau) forme elle aussi une forme statique faisant écho à celle du corps. La main de gauche du personnage, à moitié plongée dans l’eau, est plus ronde. En poursuivant le détail des formes, on remarque un grand nombre de formes arrondies. Contrairement aux ronds, l’ovale est plus dynamique. Le genou nu par exemple, élément intriguant (nous le verrons avec la lumière) est arrondi et bosselé. Cette représentation de la musculature donne une impression de puissance, mais statique elle aussi. Le visage, vu de profil ainsi que les cheveux bouclés, sont de même nature. On retrouve également cette forme dans le corselet composé de motifs floraux de formes arrondies. Pour terminer, le dos décrit un arc de cercle permettant au regard de circuler de gauche à droite, tout en restant dans une position ancrée.
Vous allez maintenant faire de même avec votre tableau. En clignant des yeux, observez tout d’abord la forme générale de la composition puis détaillez les différentes formes à l’aide des questions ci-dessus.
Notons maintenant les principales caractéristiques des couleurs et réfléchissons à la manière dont elles s’assemblent.
Reprenons notre exemple et observons les couleurs dans l’œuvre de Caravage – Narcisse
La première teinte qui nous saute aux yeux est le blanc des manches qui contrastent avec le fond sombre. Juste après celle-ci, c’est le bleu-vert (on dirait peut-être « pétrole » aujourd’hui ou bleu canard) du vêtement qui nous intrigue. Cette couleur est d’autant plus singulière que le second genou n’en est pas couvert. On la distingue à peine dans le reflet, laissant d’autant plus de place au genou nu. En troisième lieu, c’est le brocart gris du corselet, tonalité reprise dans le reflet des manches. Ce subterfuge permet de souligner une correspondance de formes. Pour terminer, un camaïeu de tons brun-roux se retrouvent dans la terre sous le personnage, dans le reflet du visage et dans les cheveux du garçon. Ces touches sombres mettent en valeur les tons plus clairs et marquent le passage d’une forme à une autre, rythmant le parcours de l’œil.
Vous allez maintenant faire de même avec votre tableau. Observez les couleurs dominantes, puis leur correspondance dans la composition.
La lumière dans une œuvre d’art peut être chaude ou froide, forte ou faible, naturelle ou artificielle. Prenons le temps de décrire le rôle de la lumière et de l’ombre dans l’œuvre :
Reprenons notre exemple et décrivons l’œuvre de Caravage – Narcisse
C’est comme souvent la lumière qui nous guide à travers le tableau. Nous commençons notre lecture par le genou, forme ronde, puissamment éclairée, une sorte de moignon dû à l’effet de perspective. Celui-ci conduit notre regard qui glisse le long du cou. Les manches gigot de la chemise fortement éclairées nous emmènent vers le bras à droite du tableau. Nous plongeons ensuite dans le reflet de cet avant-bras, poursuivons par celui de la manche, du visage, de la deuxième manche et remontons par le reflet de l’avant-bras vers la main à notre gauche. Nous terminons notre cheminement sur le visage avant de plonger sur les lèvres entrouvertes du garçon.
Le genou sert de pilier central. Tout tourne autour de lui. Étrangement centré et étrangement positionné à la place du sexe du garçon, on dirait un phallus géant. Le regard ne cesse de s’y arrêter. De circuler autour de lui. Si le jeune homme regarde son visage se refléter comme hypnotisé, c’est, à mon sens, de sa sexualité dont il est question. Et en cela, l’illustration du passage de l’enfant à l’âge de la sexualité, l’âge adulte. La sexualité mise en lumière, en quelque sorte.
Vous allez maintenant faire de même avec votre tableau. Observez le rôle de la lumière, comment conduit-elle votre regard ?
Pour compléter votre compréhension de votre tableau (et de biens d’autres !) par l’analyse de la composition, des lignes directrices, du thème et d’autres éléments picturaux, procurez-vous la méthode complète sur la boutique
Des commentaires d’œuvre du magazine BEAUX-ARTS
https://www.beauxarts.com/tag/commentaire-doeuvre/
Comment analyser une œuvre, des conseils à l’attention des enseignants
https://perezartsplastiques.com/2017/12/15/analyse-dune-oeuvre-dart/
Comment décrypter une œuvre au musée
https://www.louvrelens.fr/mon-louvre-lens/comment-decrypter-une-oeuvre-dart-au-musee/
Méthodologie et exemple du commentaire d’œuvre
https://laforgeunistra.wordpress.com/outils-methodologiques/methodologie-du-commentaire-doeuvre/
Une méthodologie et des conseils pour le commentaire d’œuvre
https://f.hypotheses.org/wp-content/blogs.dir/855/files/2019/10/Fiche-de-m%C3%A9thode-L3.pdf
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Vous allez à présent décoder votre tableau avec l’aide de clefs de lecture.
Oui, des clefs de lecture. Vous allez interroger votre oeuvre à travers une grille de questions qui vous permettra de comprendre.
Comment votre œil se fait promener dans le tableau ?
Comment les formes, les lignes et les couleurs jouent avec vos émotions ?
Pourquoi la touche vous touche ?
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