Le portrait
Allons se faire tirer le portrait !
Cette expression, souvent utilisée depuis l’invention de la photographie, relève d’une pratique usuelle depuis la Renaissance. Après quelques séances de pose, le commanditaire voyait ses traits fixés pour la postérité. Qu’est-ce qui pouvait bien motiver ces hommes et ces femmes à faire réaliser leur portrait ? Raconter un épisode de leur vie, montrer ce qu’ils aimaient, dire qui ils étaient, flatter leur ego, s’assurer qu’on ne les oublierait pas, être vivant. Étrange coïncidence, ne serait-ce pas les mêmes motivations qui nous poussent à faire des « selfies » avec nos smartphones aujourd’hui… ?
Le portrait exécuté par un peintre, du fait de sa pérennité, de l’investissement concédé et de son usage, servait également d’autres motifs, tels que témoigner d’une valeur comme la piété, conserver une image de son passage sur terre ou symboliser un épisode quand on ignore les traits du modèle. Le Christ en est l’illustration la plus probante et le Portrait d’Aristote de Rembrandt en est une autre. Pour le peintre, c’était aussi l’occasion d’exprimer son style et sa patte artistique. Dans le Portrait d’Ambroise Vollard, Picasso a certainement été plus préoccupé par une recherche stylistique que par la représentation de ce bon vieux marchand d’art. Le sujet n’est finalement qu’un prétexte.
Dans l’Antiquité
Ce sont les Égyptiens, en 2700 avant J.-C., qui réalisent les premiers portraits, destinés aux dieux, pour accompagner les défunts dans l’au-delà. Plus tard dans l’histoire de cette civilisation, Akhénaton, pharaon fort avant-gardiste, commanda un portrait de ses filles en train de jouer, œuvre réalisée pour être vue. On peut dire que l’on assiste pour la première fois à une marque d’individualisation, comme les journaux « people » le feront plus tard. L’Antiquité grecque et romaine nous offre de superbes exemples de portraits de commanditaires. Pline l’Ancien expliquait d’ailleurs que « par le portrait, les nobles étaient encore plus nobles ». Pas étonnant donc que cette tradition se développe de façon spectaculaire !
Au Moyen Âge
Au Ve siècle, avec la montée du christianisme et pendant tout le Moyen ge, le seul genre admis est le sujet religieux. Très vite, le christianisme va ouvrir le débat sur la représentation du divin. L’interdiction l’emporte aux VIIIe et IXe siècle, seules les scènes sacrées seront admises. Le portrait connaît alors une période de déclin. De plus, une croyance bien ancrée prédisait que l’image de la personne représentait un double maléfique susceptible de voler l’âme du défunt.
À la Renaissance
Jusqu’au XIVe siècle, il y a bien quelques figures de donateurs ici et là sur des polyptyques, mais elles ne sont pas peintes pour elles-mêmes et font partie d’une œuvre, parfois isolées sur l’un des panneaux. Le premier portrait qui suit l’interdiction date du XIVe siècle avec le Portrait de Jean le Bon. Le futur roi de France y est représenté seul et pour lui-même.
Durant le XVe siècle, les artistes italiens redécouvrent l’Antiquité grecque et romaine et font renaître le goût du portrait longtemps perdu. Celui-ci offre, outre une effigie, une opportunité de témoigner de la valeur de l’individu, de sa personnalité, de son humanité. La ressemblance la plus fidèle à la réalité est exigée de la part des commanditaires tout comme une pose choisie à dessein pour démontrer ses valeurs telles que la dévotion ou l’humilité. Le portrait peut aussi être commandé à l’occasion des évènements importants de la vie privée tels que des fiançailles, un mariage ou un anniversaire.
Le Siècle d’or de la peinture flamande
Dans les Flandres, Robert Campin et Jan Van Eyck insufflent une intensité particulière dans les portraits grâce à une pose de trois quarts, une lumière projetée sur la partie la plus éloignée du visage pour le spectateur et une profondeur dans le regard. Tout au début du XVIIe siècle, le portrait est à la mode, tous en veulent un, preuve de leur reconnaissance sociale. Les différentes formes du portrait sont figées. Le commanditaire décide de quelle façon il souhaite être représenté :
- Le portrait psychologique, reflet de sa personnalité, de ses sentiments autant que de ses traits physiques.
- Le portrait d’apparat, soulignement de sa grandeur, de son rang social et de ses « faits d’armes », de sa réussite.
- Le portrait allégorique, faisant apparaître le modèle sous la forme d’une figure de la mythologie qu’il aura choisie pour ses qualités particulières.
Le XVIIIe siècle
« J’ai fini le portrait que vous désiriez de moi… Vous n’aurez point de jalousie, car j’ai observé la promesse que je vous ai faite, ayant choisi le meilleur et le plus ressemblant pour vous : vous en verrez la différence vous-même », écrit Nicolas Poussin à son commanditaire. L’Homme du XVIIIe siècle enfile son plus beau costume pour poser devant le peintre, mais il exige un cadre familier, son intérieur, une attitude simple et naturelle, une sorte d’instantané. Les portraits de Louise Vigée-Le Brun, qui a notamment peint la Reine Marie-Antoinette et ses enfants, témoignent de cette volonté. À cette même époque, l’Angleterre est une nation riche et puissante. Des peintres comme Sir Joshua Reynolds ou Thomas Gainsborough vont se mettre au service de l’aristocratie pour en glorifier l’image et avec elle toute la grandeur de la nation.
Le XIXe siècle
Le XIXe siècle va vivre une évolution technologique qui bouleversera le but du portrait ; l’invention de la photographie. En schématisant un peu, on court chez le photographe pour obtenir un portrait moderne et « réaliste » alors qu’on demande « un supplément d’âme » au peintre. Et pour l’artiste, cela créera une opportunité de démontrer son talent, son style ou sa patte, ce que la photographie ne permet pas (encore) aux yeux du public.
Et il y a des petits malins qui s’offraient les deux en même temps : un tableau réalisé par un peintre représentant un photographe en train de tirer votre portrait, trop fort, non ?
La galerie de portrait d’Art-toi
Maintenant que nous avons brossé l’histoire du portrait, allons nous divertir avec quelques exemples de trombinoscopes bien sentis.
Arci amuse la galerie…d’art !
Des fruits, des légumes, des fleurs, des poissons et même des ustensiles pour composer ce portrait. Un tantinet irrévérencieux notre Arcimboldo là, non ? Et le modèle, comment il l’a reçue sa tronche version végé ? Allons chercher des réponses et le propos de notre surréaliste avant l’heure.
Des fruits, des légumes, des fleurs, des poissons et même des ustensiles pour composer ce portrait. Cela ressemble fort à une parodie. Il n’est d’ailleurs pas rare que les regardeurs s’interrogent de la réception de cette œuvre par le modèle. Or, Arcimboldo était non seulement peintre à la cour de Rodolphe II mais de surcroît il semble que ce soit l’empereur lui-même qui ait commandé « quelque chose de drôle et de capricieux ».
Qu’a-t-il bien pu se passer dans la tête d’Arcimboldo lorsqu’il s’est mis à peindre ses « têtes composées » ?
Commençons par comprendre le sous-titre de l’œuvre. Vertumne. C’est qui ça ?
Un dieu d’origine étrusque avant de passer à la postérité dans le panthéon romain. Sa force ? Il faisait éclore les fruits et légumes. Nous y voilà. Une sorte d’alchimiste. Or, notre bon roi Rodolphe se prétendait lui aussi comme tel. Ce tableau pourrait être une allusion à sa volonté de s’approprier la nature des choses.
Mais alors ce tableau, nature morte ou un portrait ?
Pour apprécier au mieux ce tableau, approchons-nous et décrivons-le tout en tentant de comprendre l’usage du motif. Le nez est fait d’une poire, pour sa forme et sa texture. Les lèvres sont composées de fruits rouges, allusion à leur couleur mais aussi à leur sensualité. Des fleurs tombent sur l’épaule formant le cordon impérial, allégorie à la décoration. Des haricots matérialisent les sourcils, les pommes les joues. Des bogues de châtaignes suggèrent la texture de la barbichette. Nous pourrions continuer ainsi pour chaque pièce du puzzle composant la tête de l’empereur. Or, ces éléments du réel ont été détournés pour en faire autre chose, pour créer une nature antinaturelle. Ce n’est donc pas une nature morte. Mais peut-on parler d’un portrait ? Souvenons-nous que la représentation d’un personnage peut avoir différents buts et notamment celui de démontrer un aspect de la personnalité du modèle. A première vue, c’est un portrait : un visage est représenté sur un fond noir, de face et la tête tournée au trois quart, quelque chose de très classique pour l’époque. Ce sont les détails du tableau qui nous surprennent. Or, que fait le peintre de ces éléments naturels ? Il les utilise pour leur caractère allégorique afin de composer un ensemble irréel. Une façon peut-être d’exprimer le pouvoir politique, la force et la suprématie surnaturelles de ce Habsburg.
Un surréaliste avant l’âge ?
Cet assemblage d’éléments qui peut paraitre absurde ne l’est pas. Tout est vrai dans ce tableau, de vrais fruits, des légumes parfaitement identifiables, des fleurs représentées de façon totalement réalistes, éléments mêlés à des ustensiles tout à fait reconnaissables mais qui n’ont rien à faire ensemble. C’est une sorte d’Imago Mundi. Arcimboldo nous donne à voir une Wunderkammern ou cabinet de curiosités, en vogue dans l’Autriche de ce temps. En effet, le peintre joue ici sur l’association de l’inanimé avec le vivant, de l’illusion avec le réel.
C’est quand même un peu moche, non ?
Soyons honnête, ce personnage est assez laid. Eh bien, ce pourrait justement être le propos de l’artiste autant que la volonté du modèle. Ce visage-puzzle s’assume assez bien en tant que monstre. Il semble revendiquer sa laideur quelque peu effrayante et une ambition relativement claire de happer le spectateur. Arcimboldo joue sur l’effroi, sublimant au passage un simple humain en monstre sacré.
Bon, quand on voit le portrait plus réaliste de notre empereur d’Autriche et de Bohème qu’en a fait par ailleurs un illustre inconnu, on n’est certainement pas subjugué par sa beauté. Le parti d’Arci de sublimer la laideur était certainement assez malin. La Vanitas se place parfois aussi dans un portrait !
Moi, je m’assume !
Eh bien, il mange bien à la cantine celui-là ! : Une expression que je ne pourrais, ne devrais plus me permettre aujourd’hui, celle d’une génération qui condamnait le surpoids. Mais qu’en était-il en 1642, lorsque Bartholomeus van der Helst fit le portrait de G.A. Bicker ?
Comprendre l’impact du portrait
Avant de s’informer de l’attitude sociale de l’époque, regardons en détails comment le peintre a représenté son modèle.
Un col de dentelle fine, des gants de peau délicate, une étole de velours d’un rouge de garance noble et un costume de brocard cousu de fils dorés. La tenue démontre un statut social élevé, assurément. Le regard est fier, arrogeant peut-être même, le modèle semble défié le peintre. Mais est-ce là l’expression d’une véritable assurance ou une manière de se rassurer ?
En se renseignant sur l’application du Rijksmuseum où l’œuvre est accrochée, on apprend que ce jeune homme pesait selon la rumeur 220 kilos et donc souffrait clairement d’obésité. On sait également que les Flandres protestantes voyaient dans la gourmandise, pour ne pas dire la gloutonnerie un vice hautement condamnable, un péché capital pour tout dire.
Mais alors pourquoi le peintre n’a-t-il pas triché un peu ? Un peu de Photoshop pictural, une pose plus flatteuse, une lumière moins directe, quelques artifices n’auraient-ils pas été de bon ton ?
Gerard était l’aîné des enfants d’Andries Bicker, l’un des marchands les plus puissants d’Amsterdam. C’est donc la prospérité que montre clairement cette image. Au détriment de celle de la tempérance visiblement !
Un peu de flatterie ne peut nuire n’est-ce pas ?
Comment ce portrait équestre a-t-il bien pu atterrir à Besançon, ville franche de surcroît ?
Eh bien, il y eut probablement une petite flatterie à l’égard du Roi Soleil (qui n’y était pas insensible dit-on) dans l’acquisition de ce tableau. En voici l’histoire.
Comprendre l’intérêt d’un portrait
Ce morceau d’anthologie qu’est le portrait équestre de Louis XIV a probablement été réalisé par René-Antoine Houasse, disciple de Charles le Brun. Il travaillait alors pour la manufacture des Gobelins et participa à la décoration du Château de Versailles. L’original de cette œuvre a vraisemblablement été commandée par le Roi à son peintre de cour. Nous en connaissons plusieurs copies aujourd’hui, toutes ayant été placées dans des lieux stratégiques. Besançon, auparavant ville franche, devint l’un d’eux.
Mais il n’est pas impossible que ce tableau ne fût pas imposé mais commandé spécialement.
En effet, Claude-Antoine de Courbouzon, haut fonctionnaire bisontin mais aussi habile diplomate devait beaucoup à Louis XIV.
Il est donc probable que cette commande, si cela en était une, soit une forme d’allégeance au Roi Soleil en même temps qu’une image de propagande politique.
La Marianne des mairies de France version XVIIIe en quelque sorte.
On remarquera que la canne du roi forme une sorte de corne sur le front du cheval, transformant un simple bourrin, fût-il royal, en une licorne, animal mythologique et magique s’il en est. Tout un symbole !
Quelle tronche celui-là !
Je te défie mon gars, je me méfie aussi. Je ne te fais pas une once de confiance. Et puis je suis là parce que je n’ai pas réussi à m’y soustraire.
Voilà ce que semble dire Churchill au peintre Graham Sutherland en 1954 réalisant son portrait, à l’occasion de ses 80 ans.
Comprendre la signification d’un portrait
En lisant la documentation au sujet de cette œuvre, j’apprends que sa réalisation lui a été imposée. Et on comprend mieux sa frustration quand on sait qu’il aurait aimé être représenté dans sa robe de Chevalier de l’Ordre de la Jarretière. Mais pourquoi diantre aurait-il préféré une représentation de son appartenance aristocratique acquise par naissance plutôt que de celle de politicien dans lequel il a tant excellé ? Eh bien, vraisemblablement, car ce titre honorifique plaçait Winston Churchill à un niveau supérieur puisque le grade de Chevalier de cet ordre est une reconnaissance tant de son œuvre que de sa personne.
Pourtant, tout avait bien commencé avec le peintre. Celui-ci avait même été invité à peindre avec le vieux lion dans le sud de la France.
C’est donc une fois que le portrait fut achevé et que Churchill le découvrit qu’il entra dans une fureur homérique.
De l’avis de beaucoup, ce portrait ne renvoie de lui qu’une image sombre de sa personnalité, celle d’un homme agrippé à son siège, méfiant, légèrement voûté, toisant le spectateur de haut. Le côté brillant de sa personnalité, sa loyauté, son courage, sa ténacité et son sens implacable de l’humour sont complètement absents. Churchill ne nous est montré que colérique, affable, arrogeant, dur et cynique, désabusé dira même son fils Randolph.
C’est à la mort de Clémentine, son épouse, que le public apprendra que le tableau fut réduit en cendres peu de temps après la cérémonie pendant laquelle l’œuvre avait été remise solennellement à Churchill. On ne pourra dire du peintre qu’il a été complaisant avec son modèle, comme bien des peintres avant lui.
Et maintenant à vous de voir !
Qu’est-ce qui pouvait bien motiver ces hommes et femmes à faire réaliser leur portrait ? Pour répondre à cette question, choisissez des portraits de différentes époques et demandez-vous quel but les artistes ont voulu atteindre en réalisant chacun d’eux. Voici quelques propositions :
- Raconter un épisode de la vie de la personne représentée.
- Montrer la personnalité, le rang social de la personne représentée.
- Flatter l’ego de la personne représentée.
- Démontrer la technique et le style artistique du peintre.
- Laisser une trace à la postérité…
Raconter un épisode de leur vie, montrer ce qu’ils aimaient, dire qui ils étaient, flatter leur ego, s’assurer qu’on ne les oublierait pas, être vivant. Étrange coïncidence, ne serait-ce pas les mêmes motivations qui nous poussent à faire des « selfies » avec nos smartphones aujourd’hui… ? Et ce ne serait pas si superficiel de faire un selfie, encore moins devant la Joconde ? La preuve dans cet article : https://theconversation.com/un-selfie-avec-la-joconde-pas-si-superficiel-126378