Comment analyser un tableau ?
Enrichissant ? Oui, car un tableau, c’est avant tout un dialogue. Or, en l’analysant, nous entrons en communication intime avec lui.
Ludique ? Oui, car dans le fil rouge que je vous propose, nous allons lui poser des questions et, vous verrez, il va nous répondre !
Simple ? Oui, tout le monde réussit à ce jeu-là car nous nous appuierons sur des informations facilement accessibles sur le Web et sur notre réflexion en suivant un fil conducteur. Quiconque, même sans formation artistique ou en histoire de l’art réussit à « y voir plus et mieux ». Allons-y.
À vos émotions !
Mais commençons notre analyse par un petit tour du côté de nos émotions. C’est le moment d’être subjectif-ve. « Plantez-vous » devant l’œuvre de Pieter Brueghel l’Ancien, Le Repas de noce (ou plus exactement devant votre PC) et laissez aller vos sensations en accueillant ce qui vient à votre esprit. Une fois que l’œuvre sera bien imprégnée en vous, demandez-vous :
- Quel effet ce tableau produit-il sur moi ?
- Que signifie cette œuvre d’art pour moi, quels souvenirs appelle-t-elle ?
- Pourquoi cette signification particulièrement ?
Et maintenant, partons à la découverte de cette œuvre. Suivez-moi.
Documenter le tableau
Cette phase est utile pour appréhender et contextualiser le tableau avant d’en décortiquer chaque élément.
1- Recueillir des informations de base du tableau
C’est le genre d’informations qu’on peut trouver sur le cartel du tableau, sur internet, dans les livres et catalogues d’exposition ou encore dans notre mémoire.
Commençons notre exercice en choisissant de répondre à quelques questions.
- Le titre de l’œuvre : Quel indice le titre nous donne-t-il ?
- Le sujet du tableau : Quel est le sujet du tableau, qu’est-ce qui est représenté ? Quels sont les détails significatifs ?
- Les commanditaires : Dans quel but l’œuvre a-t-elle été réalisée ? Émane-t-elle potentiellement d’une commande ? Qui sont les commanditaires ?
Application
Nous allons prendre un exemple qui nous suivra tout au long de l’exercice :
Pieter Brueghel l’Ancien – Le Repas de noce ou La Noce paysanne – 1567
Le titre de l’œuvre : Quel indice le titre nous donne-t-il ?
Le titre Le Repas de noce ou La Noce paysanne faisant référence à un mariage, notre première réaction est évidement de rechercher les mariés. On identifie aisément l’épousée grâce à sa couronne. Mais, fait intriguant à nos yeux contemporains, elle ne mange pas, ses mains jointes et ses yeux clos nous la montrent en méditation, presque en extase. En se renseignant sur le sujet, on apprend que la tradition veut que la mariée ne parle ni ne mange pendant la célébration. Elle n’est absolument pas le centre de l’attention non plus. Pour ce qui est de l’identification du marié, l’exercice est beaucoup plus difficile pour nous amateurs mais l’est apparemment également pour les historiens. Certains spécialistes le voient dans le convive servant les assiettes comme il était l’usage au XVIe siècle en Hollande.
De fait, il ne semble pas que les mariés soient le sujet principal du tableau mais comme le second titre l’indique un repas réunissant des paysans. Dans une salle bondée. La scène parait conviviale, la nourriture et la boisson sont en abondance, ce qui nous donne immédiatement une impression de bien-être, de plaisir, de partage.
Il s’agit d’une scène de vie populaire, le peintre montre des paysans tels qu’ils sont dans ce divertissement : mangeant et buvant. Pour nous, contemporains, c’est un morceau d’anthologie. On y apprend ces us et coutumes des hommes du XVIe siècle, ce qu’ils mangeraient, comment ils divertissaient, etc. La documentation nous informe que Pieter Brueghel aimait à participer aux noces, souvent d’inconnus. Il s’habillait en paysan et se faisait passer pour un ami des mariés, prenant soin d’apporte un cadeau. Les sources nous indiquent également que Brueghel se singularisa avec ce sujet, guère en vogue à son époque et qu’il fit l’objet de bien des sarcasmes. Si les intentions du peintre n’ont pas été exprimées, le traitement du sujet et notamment avec la beauté mise dans les personnages, laisse penser qu’il n’a pas voulu montrer le monde paysan comme un repoussoir mais plutôt comme une composante de la société et qu’il tente de la représenter avec autant de bienveillance que de réalisme.
Le sujet du tableau : Quel est le sujet du tableau, qu’est-ce qui est représenté ?
Ce sont les détails qui nous permettent de comprendre l’histoire racontée mais aussi de déterminer le vrai sujet du tableau : l’ambiance de cette fête. Nous sommes dans une grange, les deux gerbes et le râteau suspendus sur le mur du fond de la pièce en témoignent. Le drap vert sert peut-être de décoration mais est surtout représenté pour mettre la mariée en exergue.
Tous les convives sont vêtus de façon assez simple. La nourriture est elle aussi rudimentaire, de la bouillie et de la soupe servies avec du pain, mais abondante, tout comme le vin. Chacun se sert au passage d’un plateau de service de fortune fait d’une porte sortie de ses gonds posée sur deux pieux. Ceux qui mangent le font à grandes lampées. Les expressions faciales dénotent un intérêt plus vif pour le repas que pour l’ambiance ou la conversation. Seul un frère religieux, en bout de table est en grande discussion avec un homme en habit dénotant un rang social supérieur. Renseignement pris, ce dernier pourrait être le peintre lui-même. Tous ces détails nous indiquent le caractère populaire de l’assemblée à l’exception d’un homme assis sur une chaise ancienne alors que les autres gens ont pris place sur des tréteaux de bois. Cet élément laisse penser qu’il s’agit d’une personne de haut rang, un notable peut-être.
Alors que l’assemblée est déjà serrée sur les bancs, un grand nombre attend encore de pouvoir se joindre aux dineurs. La pièce étant remplie, il est peu probable que tous puissent prendre place. L’ambiance est à la fête, des musiciens s’apprêtent à jouer un air qui animera l’évènement.
Les commanditaires : Mais qui donc achetait ce genre de tableaux ?
On sait qu’au XVIIe siècle, les clients n’achètent pas un tableau uniquement pour décorer leurs appartements, ni pour investir « dans une valeur sûre ». Mais alors, à quoi peut bien servir ce genre de tableau, tant pour l’artiste qui le crée que pour le client qui l’achète ?
Contrairement aux natures mortes qui donnent à penser, les paysages ont avant tout un but d’agrément, étant là pour décorer les intérieurs. Lorsque le peintre est connu et/ou réputé pour sa technique, on se presse pour se procurer l’une de ses œuvres. Enrichis par leur seul travail, les Néerlandais du XVIIe siècle sont des bourgeois particulièrement désireux d’asseoir leur statut social. Mais la Réforme étant passée par là, il s’agit de rester discret. On évitera donc les portraits d’apparat ainsi que la peinture religieuse ou mythologique, perçue comme prétentieuse ou grandiloquente. Mais, il serait réducteur de ne voir qu’un agrément dans ces tableaux. S’il est vrai que le paysage ne requiert pas de compétences particulières ni d’érudition et qu’il se laisse facilement admirer, mais une lecture plus approfondie va certainement au-delà d’un simple réalisme. Les scènes de ce genre sont généralement truffées de détails qui nous racontent une histoire : nous allons les observer pour comprendre la narration.
À vous de voir…. par vous -même !
Choisissez une œuvre qui vous plaise et à laquelle vous pouvez accéder facilement, de préférence « en vrai » (musée, lieu public, collection personnelle). Maintenant, allez recueillir toutes les informations de base du tableau qui vous permettront de bien le situer. La méthode* vous permettra de compléter votre questionnement.
*La méthode Art-toi sur ce lien https://art-toi.com/lart-pour-les-debutants-decrypter-un-tableau/
Analyser un tableau
Entrons maintenant dans le tableau par l’observation scrupuleuse des éléments. Cet exercice pourrait vous paraitre fastidieux ou inutile, il est pourtant déterminant pour appréhender l’œuvre, pour la voir, et plus seulement la regarder. En détaillant chaque élément pictural, nous pourrons identifier son rôle et découvrir son impact sur la compréhension du tableau.
2- Analyser la composition
Pour commencer, observons la composition, concentrons-nous sur des éléments comme l’espace, la profondeur et la perspective, la place des éléments, etc. Ensuite, nous pourrons interroger l’œuvre à l’aide de ces questions :
- L’espace : Comment est-il occupé ? Quelle est l’occupation des différents plans ?
- Les lignes directrices : Comment les lignes directrices conduisent-elles le regard et quelle histoire racontent-elles ?
- Le rythme : Comment le rythme est-il donné par le peintre et quelle activité pourrait lui être associée ?
- Le point de vue : Où le peintre nous a-t-il placé en tant que spectateur de l’œuvre ?
Application
Reprenons notre exemple et décrivons la composition de l’œuvre de Pieter Brueghel l’Ancien – Le Repas de noce ou La Noce paysanne
L’espace : Quelle est l’occupation des différents plans ? Y a-t-il des zones vides et pleines ?
Le tableau est composé de quatre plans. L’avant-plan, horizontal, a été volontairement laissé vide par le peintre afin d’entrer plus facilement dans le tableau à l’image d’une scène de théâtre. De fait, notre regard tombe sur le service : les deux personnages apportant des assiettes remplies de bouillie et de soupe, à l’aide d’un plateau constitué d’une simple porte et de deux bâtons. Un autre homme, sur la gauche, nous apparait. Il verse le contenu d’une grande cruche dans de plus petites pour faciliter le service. Sur ce plan également, le principal et celui qui attire notre attention, un enfant se délecte d’une galette. Le troisième champ est occupé par les convives disposés de part et d’autre d’une table en bois. Celui-ci est en diagonale et forme une croix avec le premier, lui horizontal. Ce contraste permet d’asseoir le regard et de le prolonger ensuite jusqu’au « fond » du tableau. Les murs constituent l’arrière-plan et font office d’encadrement de l’image. La composition est fermée par la direction des visages, ceux de gauche regardent vers la droite et vice-et-versa.
Les lignes directrices : Comment les lignes directrices conduisent-elles le regard et quelle histoire racontent-elles ?
La ligne directrice principale est en diagonale, allant des serveurs vers l’entrée de la salle, là où un attroupement s’est formé. Une autre, verticale part de l’enfant assis par terre et longe les hommes dédiés au service. C’est à travers ces lignes, qui ne lient pour n’en former qu’une que le regard est conduit : la lecture débute par le plateau avec les assiettes, glisse le long du mur, s’arrête sur la mariée un instant, poursuit son cours jusqu’à la porte. La ligne serpente alors dans la foule avant de revenir le long des dineurs, de tourner jusqu’à l’enfant en train de manger une galette pour terminer sa course sur l’homme versant le vin. Ce chemin de lecture continue nous donne une impression de farandole.
Le rythme : Comment le rythme est-il donné par le peintre et quelle activité pourrait lui être associée ?
Une farandole. C’est l’agencement de l’espace qui la crée. En effet, plusieurs éléments picturaux impriment un mouvement : Des zones denses côtoient d’autres plus vides, des tons sourds sont ponctués de rouge ou de blanc, des formes rondes peintes en aplat légèrement cernés tels des galettes, impriment le tableau de notes de musique. Et la conjonction de tous ces éléments contrastés engendre un mouvement de danse du regard.
Le point de vue : Où le peintre nous a-t-il placé en tant que spectateur de l’œuvre ?
Le point de vue est ici à peine élevé, donc en légère plongée. Cela permet de plonger dans la scène et d’en « voir plus ». Cette position est assez caractéristique de l’époque.
À vous d'analyser la composition de votre tableau !
3- Analyser les couleurs et la lumière
Notons maintenant les principales caractéristiques des couleurs et de la lumière et réfléchissons à la manière dont elles s’assemblent.
- Les couleurs : Quelles sont les couleurs principales ? Y a-t-il des correspondances (clair-foncé, chaud-froid, complémentaire-primaire) ? Est-ce que les couleurs s’opposent ou sont-elles plutôt en harmonie ?
- La lumière : artificielle ou naturelle, d’où vient-elle ? Est-ce qu’un élément est éclairé ? Y a-t-il des ombres et des contrastes ?
Application
Reprenons notre exemple et observons les couleurs dans l’œuvre de Pieter Brueghel l’Ancien – Le Repas de noce ou La Noce paysanne
Les murs de la grange, qu’on imagine en terre ou en paille et le sol de terre battue forment de grands aplats de bruns et d’ocres. Une grande variété de bruns chauds a également été utilisée pour peindre les ustensiles, les aliments et les boiseries. Dans les vêtements des paysans, les couleurs sombres tel le brun, le bleu et le vert dominent. Ces tons sourds forment une sorte de toile de fond et permet à l’œil d’être attiré par des éléments de contraste. Il se pose ainsi sur les taches plus claires du tableau tel le tablier du serveur, les coiffes des femmes ou les chausses d’un musicien. Le blanc des nappes indique aussi la ligne directrice et guide le regard dans la composition. Les couleurs primaires attisent l’œil ; le bleu et le rouge des habits des servants, le couvre-chef de l’un d’eux ainsi que celui du petit garçon à la galette. On remarquera au passage la superbe plume de paon qui « endimanche » le galurin. Et pour terminer, la source de la lumière n’est pas représentée. Elle semble émaner de la place où se trouve le peintre et donc le spectateur, elle aussi rendue par les contrastes de couleur
À vous d’analyser les couleurs et la lumière de votre tableau !
Vous allez maintenant faire de même avec votre tableau. Observez les couleurs dominantes, puis leur correspondance dans la composition.
4 - Et maintenant à vous de poursuivre votre promenade dans l’œuvre
Nous avons étudié ensemble quelques éléments picturaux. Les peintres ont recours à bon nombre d’autres tels que l’équilibre, le mouvement ou les proportions. Si vous le désirez, vous pourrez poursuivre votre analyse en interrogeant ce tableau ou toute autre œuvre à l’aide de ces questions :
- Les formes : Quelles sont-elles ? Le tableau est-il dominé par un type de forme en particulier ou une variété de formes différentes ? Comment sont-elles traitées ? Comment s’effectue le passage de l’une à l’autre ?
- Le traitement plastique : Comment se présentent la matière et la touche ? La gestualité du peintre est-elle apparente ?
- L’équilibre : Comment les couleurs, les formes et les textures de la pièce travaillent-elles ensemble ? Créent-elles un effet équilibré et harmonieux ou un déséquilibre ?
Les principaux éléments picturaux sont listés dans l’article consacré à ce sujet Décrypter un tableau : https://art-toi.com/lart-pour-les-debutants-decrypter-un-tableau/. Et pour compléter votre analyse des œuvres, procurez-vous la méthode LA PEINTURE J’Y VOIS ENFIN QUELQUE CHOSE sur www.art-toi.com
Et ce banquet, ça vous dit quelque chose ?!!
Si vous êtes curieux du travail de Pieter Brueghel n’hésitez pas à lire notre article sur les proverbes flamands dans sa peinture du même nom.
Et pour compléter votre analyse des œuvres, procurez-vous la méthode LA PEINTURE J’Y VOIS ENFIN QUELQUE CHOSE sur www.art-toi.com, directement sur la boutique.
Art-toi, je vois plus et mieux !