Le symbole derrière le costume

Si on vous dit « monosourcil », il est fort probable qu’un portrait photographique de Frida Kahlo vous vienne spontanément à l’esprit, avant même l’une de ses œuvres picturales.
Il est en effet rare que le look d’un artiste devienne presque plus connu que ses réalisations artistiques. La peintre mexicaine a utilisé le vêtement pour raconter une histoire, son histoire. Ecoutons ses œuvres !
Comprendre le propos de l'artiste
L’œuvre de Frida Kahlo est surtout marquée par la réalisation d’autoportraits : 55 autoportraits pour 143 œuvres connues. Ainsi, sa peinture est-elle avant tout l’histoire et la représentation de sa vie à travers sa propre image. L’artiste joue particulièrement avec son code vestimentaire, singulier pour s’exprimer. De fait, les pièces de sa garde robe sont autant de symboles et d’éléments significatifs pour comprendre son oeuvre.
Les vêtements représentés dans les différents tableaux de Frida Kahlo sont ceux qu’elle portait au quotidien, en attestent les nombreuses photographies prises par ses amis. Suffisamment excentriques pour nous interpeller, nous allons tenter de comprendre les raisons de ses choix vestimentaires dans l’art comme dans la vie.
Quel message le vêtement véhicule-t-il ?
Pour comprendre le message véhiculé par le vestiaire choisi par l’artiste, il faut aller au-delà des aspects physiques de son identité et explorer sa vie privée.
Après avoir contracté la poliomyélite et avoir souffert d’un accident de bus, Frida Kahlo dût porter de nombreux appareils médicaux (notamment des corsets) pour réhabiliter son corps. Par fierté et pour cacher son appareillage mais aussi pour mettre en valeur sa « mexicanité », elle se mit à porter la tenue traditionnelle de Tehuantepec dont la mère de Frida était originaire. Étudions en détails les différents éléments de son vestiaire avec une œuvre intitulée Entre les rideaux qui met en scène les principaux.
Les informations sur la signification des différents vêtements représentés dans les autoportraits de Frida Kahlo proviennent, pour la plupart, d’articles disponibles sur le Web.
Les pièces phares du vestiaire de Frida, tout un symbole !
Que voyons-nous, que ressentons-nous ?
Deux rideaux cadrent le modèle se tenant bien droit, dans un portrait en pied. Frida Kahlo s’est représentée portant une longue jupe en corolle lui donnant des airs de poupée. Un châle coulant le long de son décolleté et rabattu sur le devant dévoile son cou gracile. Une broche imposante attire l’œil sur son corsage. Elle a calé un bouquet de fleurs contre sa taille dans un geste tendre et ferme tout à la fois. Son chignon tressé de rubans dans lequel une pivoine éclatante est plantée, exacerbe sa féminité. Sa tenue est celle d’une séductrice, mais sans être nunuche en raison de son expression aussi grave que déterminée. La dureté de son monosourcil, formant un trait graphique rappelant le vol d’un oisea,u apporte même un soupçon de masculinité (ou rattaché à cela dans l’inconscient collectif).
LE REBOZO - Le châle
Après la révolution mexicaine du début du XXe siècle, on vit le retour au pouvoir de la classe populaire et dans son sillage les influences coloniales disparaitre au profit de la culture indigène dans un mouvement appelé « mexicanidad ». Ce châle, appelé rebozo, jadis symbole de féminité, raconte l’histoire de femmes résilientes. Souvent transmis comme gage d’amour de grand-mère en mère et de mère en fille, il symbolisait, d’une part, la transmission de la sagesse des anciens à chaque nouvelle génération. D’autre part, il revêtait de nombreux usages pratiques tels que porte-bébé ou moyen de protection. Frida Kahlo aurait porté son premier rebozo le jour de son mariage emprunté, comme le reste de sa tenue de noce égalitariste à sa domestique. Dès lors, elle ne cessera de montrer la polyvalence de ce châle, porté tant pour affirmer son engagement politique que pour s’en draper en signe d’appartenance culturelle, comme c’est le cas dans cette œuvre.
LE HUIPIL - La tunique traditionnelle
Sur presque tous ses autoportraits, Frida porte un huipil, cette tunique confectionnée à partir de deux ou trois pièces de tissu, cousues à l’aide de rubans. Souvent ornementées de broderies spécifiques à la famille qui les a créées, c’est le vêtement le plus couramment porté dans toute l’Amérique latine, l’équivalent du kilt écossais. La plupart des huipils de Frida Kahlo viennent précisément de la ville de Tehantepec, berceau de sa famille maternelle. Dans cette société matriarcale, ce sont les femmes qui subviennent aux besoins de la famille, usant de leurs talents artisanaux pour accéder à l’indépendance financière et au respect. Elles sont considérées comme farouchement indépendantes, fortes et compétentes tout en aimant soigner leur apparence. On comprend ainsi toute la fierté de femme affranchie que Frida exprime à travers ce vêtement.
L’ENAGUA - La jupe longue
Cette longue jupe ample de la traditionnelle tenue tehuana est généralement ourlée d’un volant froncé couvrant les jambes et agrémentée d’une large ceinture. Cette tenue traditionnelle marque une transition dans la vie de Frida. Elle commence à porter l’enagua après avoir contracté la polio pour cacher la superposition de chaussettes portées afin d’éviter de claudiquer.

Code vestimentaire versus codes picturaux : les formes
Probablement grâce à ses connaissances en photographie, Frida Kahlo mettait un soin particulier à la mise en scène. Elle puisait dans ses sensibilités artistiques pour élaborer ses tenues, créant des effets de formes, de couleurs, de matières. Dans cette oeuvre, elle joue de même avec les éléments picturaux. La jupe, tout d’abord, en triangle « pose » le modèle, placé au centre de la composition. Le châle dessine une forme arrondie au niveau des épaules et des bras avant de structurer la figure par les pans rectangulaires verticaux. Les fleurs, piqués dans son chignon dialoguent avec le bouquet calé dans le rebozo. Les motifs géométriques de ce dernier rappellent les sourcils et les bouche de Frida. Pour terminer, les rideaux retenus par un cordon cadrent le modèle et amplifient l’effet de mise en scène.
Le RESPLANDOR – La coiffe et cape
Une poupée. Avec sa corolle de dentelle formant un cadre ovale. Une broche, sorte de camée, placée dans l’alignement du visage crée une symétrie. Le décor peut sembler un peu kitsch à première vue, suranné, à l’image des statues de la Vierge, enrubannées que l’on exhibe lors de processions religieuses. Mais le regard dur et mélancolique tout à la fois, les larmes qui perlent au bord des yeux et cette bouche résignée dérangent. On tente de pénétrer l’âme du modèle pour comprendre son chagrin.
Dans cet autoportrait, Frida Kahlo porte un resplandor, élément du costume traditionnel tehuana. Fait de dentelle et de rubans de satin, il est souvent cousu de fleurs blanches, signe de pureté et de piété religieuse. Il se portait de deux façons ; pour aller à la messe, les femmes tehuana se paraient de huipils grands dotés de magnifiques cols entourant le visage à la manière d’une crinière et retombant sur les épaules ; pour les autres occasions, il servait de cape, un manche devant, l’autre pendant derrière.
Pourquoi se représenter en resplandor alors que Frida n’est pas religieuse ? Il est possible que l’artiste cherchait tant à embrasser la culture et les croyances de sa mère espagnole et catholique que de faire honneur à ses racines indigènes.

Code vestimentaire versus codes picturaux : Les couleurs
Pour Frida, les couleurs avaient leur propre langage, décrit dans ses journaux intimes dont voici quelques exemples :
- Le blanc, comme dans la plupart des civilisations, symbolise la pureté, auquel Frida Kahlo ajoute la féminité mais aussi le vide intérieur. Dans cette œuvre, la dentelle de la coiffe forme un halo, une sorte d’auréole qui souligne l’expression de tristesse infinie de la peintre.
- Le magenta représente pour Frida Kahlo la sagesse aztèque ancestrale. Ici, un liseré de ce rouge mêlé de bleu fait office de cadre, mettant le visage en abyme ; un portrait dans le portrait.
- Si le vert est pour Frida une « bonne lumière chaude », ton que l’on aperçoit au bord supérieur du cadre, l’olive est synonyme de tristesse. Cette couleur est utilisée pour la broche portée proche du cœur, en miroir du visage de l’artiste. Elle fait écho aux larmes perlant au bord des yeux du modèle et plus généralement à son visage.
Un vêtement singulier…le corset médical de Frida !
Au premier regard, c’est un fusil pointé sous le menton de l’artiste que j’ai vu et non une colonne vertébrale brisée. Les deux expriment pourtant la même signification : ils peuvent « lâcher » et tuer Frida.
Cet autoportrait, La Colonne brisée, datant de 1944, nous montre l’artiste de face, debout au milieu d’un paysage aride et stérile, la poitrine nue et serrée par un corset blanc. Le corps de l’artiste est parsemé de nombreux clous, ouvert en deux pour apercevoir une colonne vertébrale faite d’acier et brisée à plusieurs endroits. De grosses larmes coulent des yeux de Kahlo, dont le regard fixe le spectateur. Celui-ci aura souvent du mal à soutenir son regard sur l’œuvre, tant elle est dérangeante et dure.
Pourquoi donc se (dé)peindre avec un corset médical ?
Au cours de ses 47 ans d’existence, Frida Kahlo subit 32 opérations et dut porter différents appareils orthopédiques. Ces instruments de torture furent autant un emprisonnement qu’une manière de soulager quelque peu ses douleurs. La souffrance qui émane de l’œuvre est palpable, en même temps qu’on discerne la force et la fierté qui permettent à l’artiste de tenir le coup.

Code vestimentaire versus codes picturaux : La composition
Corset et paysage se confondent, personnage et décor se font écho. Le corps de Frida est fractionnée en deux parties verticales, laissant apparaitre dans un abysse sa colonne vertébrale brisée. De même, l’herbe verte est réduite en lambeaux, entrecoupée d’une terre aride. Les sangles de l’appareillage orthopédique, bandes horizontales, découpent un corps qui semble inerte. Seules les seins de l’artiste apportent un peu d’humanité à cette représentation. Les clous plantés dans la chair de façon irrégulière suggèrent au regard un rythme scandé. La peintre a joué avec les codes picturaux pour renforcer l’impression de douleur qu’elle veut donner.
Une histoire de pilosité
Des sourcils denses, reliés entre eux, formant une barre au bas du front. Des cheveux épars, tels des insectes maléfiques. Et non, ce n’est pas un «léger duvet sur la lèvre supérieure » comme le nommerait avec délicatesse votre esthéticienne, mais une moustache, suffisamment présente pour être remarqué, voire dérangeante pour certains d’entre nous.
Dans de très nombreux autoportraits, Frida Kahlo arbore sans complexe une (légère) pilosité au-dessus de la bouche et accentue ses épais sourcils en les reliant par un trait de crayon brun. Pourtant l’époque est à la mode des stars hollywoodiennes exagérément épilées. Pourquoi tant de poils : volonté de s’affirmer en tant que personne non binaire ou gender fluid avant l’heure ? Oui mais pas uniquement !
Tout d’abord, la pilosité chez les femmes espagnoles était perçue comme un signe et un symbole d’une ascendance aristocratique, manière pour Frida Kahlo d’afficher un statut social. D’autre part, enfant, elle portait parfois les costumes de son père et tirait ses cheveux en arrière pour présenter d’elle une image androgyne. Elle joue donc sur cette ambivalence.
Et ses cheveux ? Dans la majorité des portraits qu’elle fait d’elle-même, Frida Kahlo se représente avec ses cheveux tressés, souvent avec des fleurs piqués dans son chignon. Dans celui-ci, au contraire et comme son titre l’indique, elle a coupé ses cheveux et les a tirés en arrière, dans une coupe garçonne. Que nous raconte ce tableau ?
Code vestimentaire versus codes picturaux : les symboles et le propos
C’est en observant les détails que l’on comprend. Assise sur une chaise en bois, au milieu d’une pièce vide, elle nous fait face. Le regard perdu au loin, elle semble parfaitement sereine. Pourtant, à la main, elle tient des ciseaux ouverts et des mèches sont disséminées dans toute la composition. Elle vient donc de couper ses cheveux. Or, on sait que les cheveux pour une femme de cette génération et de cette culture représentent tant la féminité que la séduction, arme pour trouver et garder son amoureux. En 1934, lorsque Frida Kahlo peint cet autoportrait, elle vient de se séparer de son mari qui a eu une liaison avec sa propre sœur. Mais au lieu de signifier les vestiges de son statut marital passé, le costume masculin montre au contraire son émancipation. Elle semble exprimer par son geste et son regard, sa volonté d’avancer, non avec violence mais avec paix. Elle garde sa contenance malgré la douleur. Elle semble dire que sa beauté n’est plus servile, qu’elle se délivre de ses anciennes chaines, métaphore rendue par ses mèches de cheveux coupées et entortillées autour des barreaux de la chaise.

À vous de décoder !
Maintenant, faites cet exercice de décodage avec d’autres autoportraits de peintres, féminins ou masculins par ailleurs. Recherchez le propos de l’artiste à travers les vêtements qu’il ou qu’elle a choisi de porter pour se représenter. Et pour compléter votre analyse et votre compréhension de l’équilibre en peinture, procurez-vous le décodeur d’art sur www.art-toi.com.
ART-TOI et vois plus et mieux !